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Les stratégies de réouverture des écoles à l’international

Julia Barré
17 mai 2020 14:57
7 mn

Cette revue de presse internationale entre dans le cadre de la veille contributive que Louis Derrac, consultant et formateur spécialisé dans les domaines de l’éducation et de la culture numérique, a lancée autour de la continuité pédagogique mise en place en France et dans le monde.


Selon le suivi de l’UNESCO, 71 pays ont annoncé la réouverture de leurs écoles. Parmi eux, 12 ont déjà réouvert. 52, dont la France, ont décidé d’une date de réouverture au cours de l’année scolaire actuelle, et 7 ont reporté la réouverture à l’année suivante. 128 pays n’ont quant à eux pas encore annoncé de dates.

Pourquoi rouvrir les écoles ? Quels sont les organisations internationales impliquées ? Quelles sont les différences d’approches entre pays ? Cet article propose un petit tour d’horizon.

 

Quelques points communs et enseignements des réouvertures d’écoles

  • La désorganisation, la difficulté d’organiser les différents acteurs, de faire communiquer des acteurs n’en ayant pas l’habitude. Clairement, les maîtres mots sont « débrouille, agilité, ingéniosité, créativité ». Et les directeurs d’établissement sont au premier plan !
     
  • Les protocoles sanitaires draconiens, qui semblent très complexes voire impossibles à suivre : nettoyage des classes plusieurs fois par jour, impossibilité d’utiliser les ressources pédagogiques (jeux, livres, etc.), faire respecter les gestes barrière dans les couloirs, aux toilettes…
     
  • L’incompréhension des enseignants face à plusieurs injonctions : récupérer les élèves décrocheurs (retrouvez les résultats de notre enquête menée auprès de 1 000 collègues début mai), occuper les enfants pour que les parents retournent travailler, « sauver » l’année scolaire. Ces injonctions n’ont pas l’air toujours cohérentes avec les dispositifs de déconfinement : classes prioritaires, modalités d’ouverture, enfants accueillis… Lorsqu’on leur dit que l’école doit rouvrir pour limiter le décrochage, mais sur la base du volontariat des parents, les enseignants rétorquent que les élèves qui ne viendront pas sont précisément ceux qui sont les plus à risque de décrocher. Entre relance de l’économie et relance de l’éducation, les enseignants pointent les limites de protocoles sanitaires qui rendent leur mission anxiogène, voire impossible.
     
  • La crainte et l’angoisse des parents, partagés entre des informations et des désirs contradictoires : retourner travailler, permettre à leurs enfants de retrouver des interactions sociales, ne pas perdre une année scolaire, leur éviter d’être contaminés… À ce sujet, les multiples études contradictoires rajoutent à l’anxiété.
     
  • Le manque (l’absence ?) de voix des enfants. Il y a trop peu de témoignages de ce que pensent les enfants de cette réouverture. Et pourtant, cette situation conditionne aussi leur futur, qu’il soit éducatif, économique, sanitaire, écologique. Dans les très superficiels témoignages que j’ai pu lire, ils semblent très heureux de retrouver leurs amis. Mais comprennent-ils la situation ? Est-ce que ça a un sens pour eux de continuer l’année scolaire ? Se sentent-ils en sécurité ? Que ressentent-ils à l’idée de faire cours dans les conditions prévues par les protocoles sanitaires ? Qu’aimeraient-ils faire ? Quelles sont leurs idées, à partir des compréhensions qu’ils ont du virus et des gestes barrière à respecter ?

 

Les stratégies de réouverture de certains pays

 

France

  • Date de retour : à partir du 11 mai
  • Ordre de retour : les écoles primaires d’abord, les collèges ensuite, les lycées.
     

REMARQUES

  • Les collectivités, qui se sont beaucoup manifestées contre la réouverture accélérée (lire par exemple cette tribune), ont finalement été laissées assez libres dans l’organisation du retour en classe. Quoiqu’imparfaite, la concertation semble plus large, la centralisation moins ferme.
  • La communication reste (très) compliquée entre de multiples acteurs qui n’ont pas l’habitude d’échanger régulièrement : Ministère de l’Éducation nationale, collectivités locales (région, départements, écoles), directeurs d’établissements, enseignants, parents.
  • Les situations sont très dépendantes des architectures des établissements scolaires, des régions où le virus est plus ou moins répandu, de la sociologie des parents et de leurs enfants.
  • De très nombreux professeurs et directeurs d’écoles estiment qu’il est impossible de maintenir les protocoles sanitaires (lire la tribune du Café Pédagogique).
  • La question de la responsabilité est aussi un sujet complexe, et terrifiant pour les acteurs de l’éducation. Qui est responsable en cas d’infection : l’enseignant, le directeur d’école, l’inspecteur, le maire ? À ce sujet, lire l’article de Laurent Hazan, avocat à la Cour, spécialisé dans la protection fonctionnelle des enseignants .

VERBATIM

Dans le cadre de la stratégie de déconfinement, il a été décidé d’ouvrir les écoles et établissements scolaires, progressivement, à partir du 11 mai 2020 pour les écoles maternelles et élémentaires et du 18 mai 2020 pour les établissements du secondaire, dans le strict respect des prescriptions émises par les autorités sanitaires.

Source : Site du Ministère

 

Japon

  • Date de retour : certaines écoles ont déjà ouvert.
  • Ordre de retour : certaines classes rentrent en priorité, parce qu’elles sont rentrées en avril en classe, qu’elles doivent préparer leurs examens d’entrée en « Junior high school », ou qu’elles sont en dernière année.
     

REMARQUES

  • Le gouvernement japonais inclut dans sa stratégie de réouverture l’objectif de rester en phase avec les calendriers académiques mondiaux pour ne pas risquer de perdre des étudiants internationaux, et pour que leurs propres étudiants ne soient pas pénalisés.
  • Au 22 avril, environ 95% des écoles étaient encore fermées selon un sondage du ministère de l’Éducation.

VERBATIMS

"Si toutes les écoles suivent les mesures des municipalités les plus touchées, les classes prendront de plus en plus de retard", a déclaré M. Hagiuda, exhortant les autorités locales à rouvrir les écoles si possible en se basant sur leur propre jugement.

Koichi Hagiuda, ministre de l’Éducation du japon

 

 

Royaume-Uni

  • Date de retour : 1er juin (date non officielle)
  • Ordre de retour : les écoles (« primary schools ») seraient priorisées
     

REMARQUES

  • Très prudent, le Royaume-Uni prône une ouverture des écoles par phases, avec un maximum d’informations communiquées aux « headteachers » (directeurs d’écoles).
  • Aucune date officielle n’a encore été annoncée, même si le 1er juin est évoqué dans un rapport.
  • Le gouvernement investit 100 millions de livres en équipement et en support IT pour les jeunes touchés par la « fracture numérique ».
  • La question des bons d’achats alimentaires pose de vrais problèmes en raison de retards multiples
  • Les politiques éducatives au Royaume-Uni dépendent de l’administration nationale. L’Écosse par exemple, se désolidarise de la stratégie de l’Angleterre, et n’a pas prévu de réouverture de ses établissements à l’heure actuelle.


VERBATIMS

Il est extrêmement important que nous trouvions le bon équilibre en nous assurant que nous créons un environnement propice à l'apprentissage, mais aussi un environnement sûr pour les personnes qui y travaillent et y apprennent.
Gavin Williamson, secrétaire à l'éducation

L'une des choses que nous voulons faire le plus vite possible est certainement de récupérer les écoles primaires. [...] Ce ne sera pas facile, mais c'est là que nous voulons aller. Il s'agit de trouver un moyen de le faire.
Boris Johnson, Premier ministre

[Nicola Sturgeon] a déclaré que tout retour à l'éducation devrait impliquer un mélange d'apprentissage à la maison et à l'école, certains groupes d'âge étant plus avancés que d'autres, en particulier ceux qui passent au secondaire et qui se préparent aux examens.
Nicola Sturgeon, premier ministre d'Écosse

 

Danemark

  • Date de retour : 16 avril
  • Ordre de retour : les plus jeunes d’abord
     

REMARQUES

  • Les Danois ont rouvert parmi les premiers. Leurs protocoles sanitaires ont donc inspiré les pays voisins : division des groupes par trois, arrivées à heure décalée, lavage de main, etc.
  • Les classes au Danemark comptent en temps normal 20 élèves en moyenne. Les éclater en plus petit groupe semble donc plus aisé, d’autant que les personnels enseignants sont aidés d’assistants.
  • Les enfants danois doivent être autonomes sur leur nourriture, boisson et matériel (crayon à papier). Quand on voit que dans d’autres pays les enfants dépendent de l’école pour avoir accès à des plats nourrissants, on voit bien qu’on est dans un autre monde.
  • Le manque de matériel de protection, craint par les parents et les enseignants, n’a pas été un problème pour Dorte Lange, vice président du syndicat des enseignants. Les conseils médicaux se sont en effet concentrés sur le respect des gestes barrières, de l’isolation des élèves par groupes, d’une forte sensibilisation à l’hygiène.

VERBATIM

Nous sommes heureux de constater que la réouverture a été jusqu'à présent un succès. Nous pouvons constater que beaucoup d'étudiants plus âgés ne s'épanouissent pas chez eux. Ils ont vraiment besoin de revenir dans la communauté de l'école
Dorte Lange, vice-présidente du syndicat danois des enseignants

 

 

Hong Kong

  • Date de retour : 27 mai (si la situation continue à s’apaiser), puis le 8 juin
  • Ordre de retour : d’abord les lycéens (« senior secondary students »), ensuite les collégiens (« younger secondary students ») et les primaires (« older primary school pupils »).
     

REMARQUES

  • À Hong Kong, les élèves sont confinés chez eux depuis début février, la plupart sont passés à l’apprentissage en ligne.
  • Ici aussi, la stratégie est de commencer par faire revenir les élèves qui doivent passer des examens (par exemple le « Diploma of Secondary Education »). Des plus âgés, le 27 mai, aux plus jeunes, 15 juin.
  • La reprise se fera sur une base de demi-journée pour permettre la distanciation sociale. Les écoles revoient leurs emplois du temps pour permettre aux élèves de rattraper leur retard accumulé par 4 mois d’interruption de cours en présentiel.
  • Le ministère de l’Éducation prévoit de fournir les protocoles sanitaires 3 semaines avant la reprise des classes, pour laisser aux écoles le temps de s’organiser.
  • Comme en Chine, une salle de classe pourrait être prévue pour les enfants présentant des symptômes, comme de la toux. Leurs parents seraient prévenus pour pouvoir rapidement tester leur enfant.

VERBATIM

Les enseignants évalueront également les progrès d'apprentissage des élèves lorsqu'ils se rencontreront en face à face, afin que nous puissions décider si nous devons apporter des modifications au programme d'enseignement

Cheung Yung-pong de l'Association des directeurs d'école primaire

 

 

Canada / Québec

  • Date de retour : 11 mai au Québec
  • Ordre de retour : les élèves de l’école primaire
     

REMARQUES

  • Comme dans de nombreux pays se pose la question du manque de personnels, dans le cas où des classes sont divisées en trois sous-groupes. Au Québec, beaucoup de place manquent pour garder les enfants.
  • Il semble qu’une spécificité du Québec soit la forte fréquentation attendue à la réouverture des écoles. Elle atteindrait 80% dans certaines régions, contre les 50% attendus. D’où une pénurie de locaux et de personnels.
  • Cette spécificité peut s’expliquer du fait que la région a été peu touchée par le virus.
  • Comme en France, de très nombreux enseignants font savoir leur angoisse à l’idée de faire cours dans des conditions sanitaires anxiogènes.

 

 

Italie

  • Date de retour : en septembre
  • Ordre de retour : non précisé
     

REMARQUES

  • La décision de ne pas rouvrir les écoles, selon la ministre de l’Éducation, se base sur les recommandations d’un comité scientifique. À noter que le comité scientifique français avait émis la même recommandation.
  • En Italie, le gouvernement a décidé d’investir sur l’éducation, considéré comme devant jouer un rôle crucial dans le processus de récupération de la crise. De très nombreux recrutements sont ainsi prévus.
  • La crise a bousculé le système éducatif italien, particulièrement conservateur, sur des questions de pédagogie, d’évaluation et de rapports aux notes notamment (lire cet article à ce sujet).

VERBATIM

Nous recrutons 24 000 enseignants, nous encourageons les jeunes à rejoindre la profession d'enseignant et nous commençons l'année scolaire avec une initiative massive de classes de rattrapage.

Lucia Azzolina, ministre de l’Éducation de l’Italie dans The Guardian

 

Allemagne

  • Date de retour : 27 avril
  • Ordre de retour : les élèves des collèges/lycées qui passent leur MSA (équivalent du brevet) et leur Abitur (équivalent du bac)

REMARQUES

  • En Allemagne, chaque Land a sa stratégie spécifique à la progression du virus, à sa population, à sa politique éducative, etc.
  • Les écoliers sont rentrés le 4 avril, après les collégiens et lycéens qui ont permis de tester les protocoles sanitaires.
  • Les consignes ont été données par les autorités (des Länder) aux établissements, qui ont ensuite du improviser.
  • Des programmes sont prévus pour accompagner les élèves pendant les vacances d’été.
  • Christian Drosten, un virologue berlinois qui conseille le gouvernement, a sorti une nouvelle étude montrant que les enfants transmettaient autant le virus que les adultes, ce qui a particulièrement jeté le trouble et angoissé les parents.

 

 

L’UNESCO donne une vision mondiale et rappelle l’importance de réouvrir les écoles

Dans les pays occidentaux, les enseignants et autres professionnels de l’éducation témoignent depuis le début du confinement des nombreux effets de la fermeture des écoles : inégalités sociales exacerbées, enfants décrocheurs avec lesquels le lien se distend jusqu’à se rompre, absence de socialisation, résurgence de stress. Dans certains pays, on parle même de la peur que certains jeunes rejoignent des gangs (en Angleterre par exemple).

C’est le cas des pays occidentaux, les plus riches, les plus développés. Mais que se passe-t-il dans les pays pauvres ? Plusieurs organisations internationales travaillant de près avec l’UNESCO rappellent les raisons qui y rendent encore plus impérieuse la réouverture des écoles. Elles sont un rappel assez violent de l’immense inégalité des enfants dans le monde :

Plus les enfants marginalisés sont longtemps absents de l'école, moins ils ont de chances d'y retourner.
Robert Jenkins, chef de l'éducation à l'UNICEF, et Jaime Saavedra Chanduvi, directeur génral de l'éducation à la Banque mondiale

L'augmentation des inégalités, les mauvais résultats en matière de santé, la violence, le travail et le mariage des enfants ne sont que quelques-unes des menaces à long terme qui pèsent sur les enfants qui ne vont pas à l'école.
Henrietta Fore, directeur de l’UNICEF

 

Il est toujours dérangeant de rappeler que dans les pays pauvres, la malnutrition reste un fléau, et que l’école est souvent le seul endroit de distribution de nourriture saine et nutritive. Il est encore plus choquant de se rendre compte que c’est également le cas dans des pays riches. La réalité des États-Unis et du Royaume-Uni m’a particulièrement choquée, mais on retrouve cette situation partout, y compris en France.

Dans les pays les plus pauvres, les enfants dépendent souvent de l'école pour leur seul repas de la journée. Mais comme de nombreuses écoles sont désormais fermées à cause de COVID, 370 millions d'enfants sont privés de ces repas nutritifs qui sont une bouée de sauvetage pour les familles pauvres. Ils sont également privés de l'aide sanitaire qu'ils reçoivent normalement à l'école.

David Beasley, directeur de la Banque alimentaire mondiale

Quelles que soient les disparités que peuvent présenter les différents pays, la décision de rouvrir les écoles n’est donc pas qu’une question éducative. Dans de nombreux pays, c’est aussi une question de santé publique.

Un guide commun pour guider les actions politiques

Quatre organisations, l’UNESCO, l’UNICEF, la banque alimentaire mondiale et la banque mondiale ont publié un guide sur la réouverture des établissements scolaires. Le document de cinq pages inclut plusieurs dimensions :

  • Temporelles : avant la réouverture, pendant le processus de réouverture, après la réouverture
  • Sécurité des opérations, focus sur l’apprentissage, bien-être et protection, atteindre les plus marginalisés

Ce guide peut être téléchargé à cette adresse.

 

Louis Derrac, consultant et formateur spécialisé dans les domaines de l’éducation et de la culture numérique

 

L'article original a été publié sur le site de Louis Derrac sous Licence Creative Commons et partagé avec son accord.

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