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Dans ma vie de prof, j’ai l’impression de vivre sur Neptune, où chaque “année” dure 164 années terrestres… J’ai souvent même une double impression : que l’année dure 164 ans, et qu’on y revit systématiquement les mêmes événements, en suivant un calendrier perpétuel. De là à penser que Jean-Eude fera là même grosse bêtise tous les 29 février, son orbite l’amenant très précisément à être sous l’influence de Saturne ce jour-là…
En tout cas, ce qui est certain au cours de l’année scolaire, c’est que je fréquente souvent les mêmes groupes de personnes, autant de satellites et de planètes à prendre en compte dans mon univers pour éviter les collisions.
Dans une vie précédente, j’ai vécu dans une autre dimension. J’étais cheffe de projet web pour une start-up parisienne. C’est là que j’ai appris à mieux gérer mon temps et à jongler avec les besoins de mes différents interlocuteurs, sans négliger les miens et ceux de mes proches !
Pour survivre à une année scolaire complète, j’essaie dès le début de l’année d’être bien consciente des différents cycles et rythmes qui se superposent et des différents cercles de personnes avec lesquelles j’interagis, pour éviter l’épuisement et ne pas arriver à faire un tour complet de notre système solaire… euh scolaire !
Dans ma vie de prof, il y a à prendre en compte autour de moi presque autant d’acteurs que d’étoiles dans le ciel : élèves, parents, collègues, direction, hiérarchie, enseignants spécialisés, intervenants ponctuels… Pour identifier ce que nous attendons mutuellement les uns des autres, pas besoin d’aller beaucoup plus loin que la pyramide de Maslow et le référentiel de compétences, cela donne déjà bon nombre d’éléments.
Pour pouvoir réaliser ma liste de manière relativement exhaustive, j’essaie de me mettre dans la peau de chaque acteur, afin d’identifier ses besoins au plus près du réel.
Exemple 1
Je suis parent. Un de mes besoins primordiaux est l’information sur les progrès de mon enfant. En pratique dans ma classe de CM1/CM2, j’établis que :
Exemple 2
Je suis directeur ou directrice. J’ai donc besoin de pouvoir signer les bulletins et lire les appréciations attentivement. Donc, je n’aime pas les recevoir de mes collègues la veille des vacances ! En pratique, dans notre école :
Exemple 3
Je travaille en équipe. Donc, je définis et je gère les incontournables en lien avec les collègues et la direction :
Exemple 4
Je suis élève. J’ai donc besoin d’avoir des commentaires sur mon travail, qui me permettent de me situer dans mes apprentissages :
Si je fais la liste des besoins de chaque acteur, je peux obtenir une liste très longue et me sentir vite submergée. À moi de classer selon le type et l’importance du besoin identifié. Quand on fait sa liste de courses, on écrit systématiquement et de manière spontanée ce qui nous manque de manière urgente (chez moi, c’est toujours le chocolat !).
Mais est-ce toujours le plus important ? Pour clarifier et trier, une méthode utilisée en gestion de projet est la matrice d’Eisenhower. Dans ma to-do list personnelle, je classe en 5 catégories.
Ouf, certains éléments de votre liste sont tout à fait compatibles et se recouvrent largement, par exemple la sécurité des élèves ! C’est à la fois une obligation légale, une nécessité absolue pour les parents et un besoin vital pour les enfants.
Cela peut donc apparaître au premier plan des besoins à prendre en compte dans la construction de mon année. Concrètement, cela veut dire par exemple que l’affichage du PPMS, la gestion des sorties scolaires, ou tout autre élément relevant de la sécurité ira systématiquement dans la première catégorie.
Une année, même sans représenter une année-lumière en termes de kilomètres, c’est long. Il faut penser à la fois très loin et très près, et savoir qu’évidemment nous rencontrons systématiquement des astéroïdes au cours du voyage, qui risquent de nous déboussoler.
Dans le système solaire de notre année scolaire, il y a des planètes avec des orbites très différentes : la journée, la semaine, la période, le trimestre. Et pour ne pas se disputer, nous mettrons tout cela en orbite autour de soleils jumeaux : vous et l’élève, même si le rythme de l’un n’est pas toujours le rythme de l’autre !
Avant le début d’année, je crée ou je mets à jour ma progression complète faite à partir du BO, à partir de laquelle je détermine les progressions dans chaque domaine.
À chaque vacances scolaire, je planifie la période suivante en entier.
Comme je sais exactement quoi mettre dans chaque dossier, pour toute la période, je gagne un temps fou et je n’ai que mon cahier journal à préparer, mes fiches de séquence et de séance et mes corrections : tout est prêt ou presque !
Pour gagner du temps :
Dans ma classe, la dictée fait par exemple partie des éléments structurants de notre semaine. Nous en faisons tous les jours, avec une graduation de l’effort et de la difficulté jusqu’au jeudi, jour de grand dictée et de correction de celle-ci.
Ceci permet en même temps de communiquer avec les parents qui voient et signent ce cahier le jeudi soir. Le vendredi est jour de découverte d’une nouvelle notion d’orthographe, et hop, nous démarrons un nouveau cycle.
Est-ce important ? Urgent ? Nécessaire ? OUI, mais est-ce possible ? Je vis systématiquement avec l’inquiétude de ne pas réussir à avancer suffisamment dans le programme, avec le stress de la rentrée suivante, du collègue qui va prendre en charge nos élèves, de la réussite de tous nos élèves.
Quid du décalage inévitable qui se produit entre ce qui était prévu et ce qui reste à faire en fonction du temps disponible ? Dans mes préparations, je résume chaque semaine sous la forme d’une to-do list.
Ceci me permet de faire des bilans très rapides des avancées et d’apporter des correctifs. Cela m’oblige systématiquement à faire des choix, à identifier les éléments les plus importants du programme à chaque période, à renforcer certains apprentissages, sans reporter systématiquement à la période suivante : même dans un cycle de 400 ans, nous n’aurions pas la possibilité de tout aborder de manière parfaite !
Pour faire avancer les élèves en parallèle et sur un temps beaucoup plus long que la semaine, j'utilise les plans de travail en autonomie et le fonctionnement par ceintures de compétences.
L’apprentissage par habitude ou par imitation permet de faire gagner beaucoup de temps à la classe, et je réfléchis toujours avant de chambouler un fonctionnement bien établi. Les élèves deviennent peu à peu autonomes à de nombreux moments de la classe, et n’ont pas besoin de mon guidage. Ils sont rassurés et productifs car ils ne doutent pas de leur capacité à mener à bien la tâche.
Nos journées sont ainsi rythmées, ce qui permet de rassurer les élèves qui savent systématiquement à quoi s’attendre et quoi faire et me permet de rationaliser mes préparations.
Et dans la journée avec mes élèves, alors ? Là c’est la chronobiologie qui l’emporte vraiment, et je porte une très grande attention à la satisfaction de leurs besoins fondamentaux, en particulier la faim, la soif, la fatigue, et les besoins de sécurité et d’estime de soi, en les amenant à identifier petit à petit leur curseur personnel.
Afin d’éviter le brouhaha que cela pourrait générer dans la classe, nous fonctionnons quasi-exclusivement par gestes.
Nous avons tout un répertoire de signes décidés en commun, permettant de communiquer vraiment en deux temps trois mouvements :
Ceci permet des échanges individuels, fréquents, rapides et surtout silencieux ! Pour les petites nouvelles et la papote, c’est en montrant son agenda le matin, individuellement, et surtout à la récré !
Bien entendu, identifier les cycles, les acteurs, prévoir et anticiper n’empêchera pas les trous noirs de se former, lorsque les parents de Jean-Edgar demandent un rendez-vous en urgence.
Cela ne changera rien aux variations de niveau du plan Vigipirate ou à la capacité de Jean-Eustache à poser ses pieds sur la barre de la table dès que j’ai le dos tourné... Bien entendu, j’aurai tout de même l’impression d’avoir parcouru 9 461 milliards de kilomètres fois 400 à chaque fin de période mais au moins, grâce à tout cela j’aurai tout de même gardé mon univers en expansion !
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Clara Carrincazeaux, professeure des écoles en élémentaire depuis 2019
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