On parle souvent de la fameuse prime informatique versée par le Gouvernement depuis deux ans déjà et des files d’attente interminables qu’elle crée à son versement. Pas une semaine. Pas un jour. Pas une minute avant que les professeurs de métropole et ultramarins ne se jettent à cœur et processeurs perdus dans la quête de l’obsolescence adolescente avec stupeur et tremblements. 

Car il y a toujours un écran Retina ici, une souris bluetooth là. Un équipement entièrement à renouveler et donc plus moderne leur permettant de construire des séances toujours plus performantes et intuitives. Avec des logiciels de pointe leur permettant de se mesurer à l’IA. Mais aussi au futur. Une prime élitiste réservée à l’élite enseignante et dont le montant excite les convoitises dans de nombreux milieux privilégiés. Il y en aura pas pour tout le monde (CPE et profs doc. Sheh !).

Car on pense bien trop souvent que le salaire arrive tard dans le mois pour éviter que les enseignants ne puissent l’utiliser lors des soldes vestimentaires hivernales. En effet, on connaît tous leur attrait pour les habits à la dernière mode, comme les mocassins à gland. Ou les robes Desigual. Il n’en est pourtant rien. Des enquêtes approfondies ont démontré que les salaires se trouvaient versés dans les derniers instants car ils étaient utilisés par les hautes instances gouvernementales pour un vaste projet d'École de l’Avenir 3.0 tout droit sorti des méninges du créateur de FB, MZ.

L’idée est la suivante. Créer un lycée, ou un collège virtuel avec des e-profs,  des e - élèves. Des e-cpe qui surveilleront des e-couloirs avec des e-boulettes de papier sur le e-sol. Bien loin de l’échec du distanciel de sombre mémoire puisqu’ici chaque enseignant sera symbolisé par un avatar. Ou un abatard comme le diront les e-Enzo. Ici une licorne pour Madame Touchard dont on ne sait pourquoi elle n’a une corne. Et qu’une seule. Là, une lampe de chevet pour ce jeune maître auxiliaire qui va se faire allumer dès son début de carrière. Un financement donc colossal pour un projet pharaonique puisqu’il faudra stocker et conserver dans le cloud les e-excuses fournies pour ne pas rendre les e-devoirs. Vaste programme.

Beaucoup de scientifiques se sont en effet penchés sur le phénomène mystérieux du salaire de janvier. Sans succès. Des spécialistes dans divers domaines tel que la nécromancie. La télékinésie. Ou la Kabbale ont donc à leur tour épuiser leurs énergies à comprendre comment le chiffre entier n’avait comme seule existence connue un monde parallèle au nôtre. Intouchable. Impalpable. Intangible. 

Et pourquoi nous n’en percevions qu’une partie infime ? Nous, pauvres mortels incapables d’en saisir son entièreté cosmique. Des entités supra naturelles et versées dans l’occultisme nous projettent donc une idée, un substrat pécuniaire permettant d’équilibrer les forces et de ne pas plonger le monde dans le plus terrible Chaos. Une sorte d’Armageddon mais sans Bruce Willis.

Ubchi, Abc, Kru, Adfgvx, Morse, carré de Polybe. Tous peuvent être crackés aujourd’hui grâce aux cerveaux les plus éminents ou les informaticiens les plus véloces. Mais il en reste un qui demeure des plus secrets, des plus complexes si bien que les créateurs eux-mêmes, sans doute dépassés par leur œuvre monstrueuse, peinent aujourd’hui à en saisir toutes les clés. 

HSE, HSA, ISOE PART MODULABLE, ISAE, ISS, IND SPE. Pour les plus simples. Et la faculté quasi géniale de ne jamais tomber sur le même montant un mois sur l’autre, avec pourtant les mêmes codifications. 

Ne jamais donc savoir à l’avance ce qu’il va se passer. Un code évolutif qui désarçonne les plus grands et peut ainsi permettre le passage d’informations confidentielles comme la paye de jury d’examen du siècle dernier, ou encore la prime supplément familial de traitement de résidence de moins de 5km par année bisextile uniquement si vous avez cours moins de 12h par semaine mais sur 5 mois reconductibles. Même un indien navajo en perdrait son comanche.

Oui, ne nous cachons pas. Le salaire de janvier nous permet de nous retrouver face à nous-mêmes. Pleinement ancrés à nos tâches et à notre sacerdoce. Combien de fois n’avons nous pas entendu de la part de cet enseignant en bout de route, en BDR comme le disent nos jeunes, cette phrase lourde de sens : "ça m’est égal, je serai payé pareil".

Mais que nenni. Au diable cette matérialité, ce matérialisme bourgeois : le sourire d’un enfant qui a compris. À qui le cours fait sens. N’est ce pas cela, le but sacré de notre existence ? Alors, qu’importe qu’il soit là le 29, le 14, le 24. Ou le 48 janvier comme souvent. La quête de sens est ailleurs. Si les romantiques vivent d’amour et d’eau fraîche, les enseignants, eux, vivent de cette passation de savoirs, de cette transmission dont la seule frontière est ce mur où s’écrasent les boulettes baveuses et les gommes taillées en forme de pénis. 

Tout ça avec du café. Beaucoup de café.

Monsieur Z.

Prof de Lycée Pro quelque part en France, dont l'humour sévit sur Facebook et sur Instagram.