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Classe à triple niveaux en maternelle : conseils pratiques

Natacha Cazogier
11 juin
5 mn

Et si on mettait les petits avec les moyens et avec les grands ? 

Il y a deux ans, je me suis retrouvée confrontée à cette configuration : avoir un triple niveaux. Je n'en avais pas envie, j'ai été prise d'une vague d'angoisse dans un premier temps ! 

Des millions de questions me sont venues en tête : comment m'organiser ? Comment accueillir et respecter le rythme de chacun ? Comment prendre en compte les spécificités des petits ? Comment accompagner les grands vers le CP ? Quelle charge de travail pour moi ? 

Tous dans la même classe, est-ce que cela fonctionne ? Oui, et à merveille ! Dans ces classes, les enfants grandissent ensemble, chacun à son rythme, dans une ambiance d’entraide et d’autonomie. 

Plongée dans un modèle qui gagne à être connu…

Comment respecter le rythme de chaque élève ?

Première semaine dans ma classe à triple niveaux… Rayan, 3 ans, reste dans un petit coin de la classe. Tom, 4 ans, quant à lui, a envie de jouer à l’espace restaurant. Tandis que Alicia, 5 ans, a envie de réaliser des constructions en suivant un modèle. 

J’observe que mes élèves, en fonction de leur âge, ont des besoins spécifiques. Tom et Alicia sont déjà bien à l’aise, ce qui me laisse plus de temps pour m’approcher de Rayan, le rassurer et lui proposer des activités qui lui conviendront. 

Lors de cette première rentrée en triple niveau, j’ai pu profiter de l’arrivée de mes 7 petits. Je me suis rendu compte que c’était beaucoup plus simple de les accueillir ainsi plutôt que dans un groupe de 15 ou 16 petits. Dès les premiers jours, j’ai pris conscience que cette organisation allait me permettre de consacrer un temps plus efficient à chaque enfant grâce au respect du rythme de chacun.

Dans le triple niveaux, il n’y a pas qu’un seul chemin possible pour apprendre

J’ai très vite adapté les ateliers, mais surtout les temps de rituels aux besoins spécifiques de chaque enfant en fonction de leurs âges. 

Cependant, il est inutile d’empêcher un enfant de petite section de faire comme un “moyen” ou un “grand” s’il en a besoin ou envie, et surtout s’il en est capable. 

Mon plus grand aménagement a été sur le début de journée, avec l’aménagement de mon temps d’accueil et de la mise en place des rituels. 

En quoi la classe à triple niveaux permet de respecter le rythme de chacun ? 

Respecter le rythme de chacun permet à chaque enfant de se développer. Les enfants de 2 à 6 ans sont en pleine maturation physique, neurologique et émotionnelle. Leur capacité d’attention, leur besoin de mouvement, de sommeil, d’alternance mouvement/repos varient fortement d’un enfant à l’autre. 

De plus, un enfant de petite section né en janvier aura des besoins plus proches d’un enfant de moyenne section né en décembre, qu’un camarade de sa section né en novembre. Le triple niveaux peut nous permettre que chaque enfant puisse “puiser” dans la classe et dans les activités proposées selon ses besoins. 

Respecter le rythme de l’enfant permettra également aux enfants d’être plus disponibles cognitivement. Un enfant reposé, sécurisé et respecté dans ses besoins sera plus disponible pour apprendre. En respectant son rythme, on évitera toute surcharge cognitive, agitation, ennui ou démotivation. 

Penser et organiser autrement les rituels de classe

Qui n’a pas connu ces moments difficiles de temps de rituels ? La date comprenant le nom du jour, le quantième, le nom du mois et parfois même l’année fait-elle sens pour un enfant de 3 ans ? Il est possible de penser et d’organiser sa classe afin de répondre aux besoins de chacun et d’alléger notre propre surcharge mentale. 

Respecter le rythme de nos élèves, c’est aussi leur offrir une sécurité affective avec des routines stables, des transitions douces et un accueil bienveillant. Cela leur permettra de créer chez eux un attachement à l’école et une motivation intrinsèque. 

Le non-respect du rythme va entraîner une fatigue, une agitation et nuira à notre propre gestion du groupe

mes conseils pratiques

 

Comment s’organiser pour favoriser l’autonomie ?

Dans ma classe de petits, lorsqu’un enfant a besoin d’aller aux toilettes, il faut le surveiller, bien que les toilettes soient attenantes à la classe, l’aider à se rhabiller… Quel gain de temps quand on commence par les GS qui sont déjà bien autonomes, les MS le sont presque tous… Il ne reste plus qu’un tiers de la classe, sans compter les “pipi” de début d’année ! Quel bonheur d’en gérer 7 plutôt que 25 ou 15 ! 

Le maître mot est l’AUTONOMIE ! 

Oui, mais l’autonomie de 25 enfants de 3 ans est plus complexe à gérer que l’autonomie de 25 enfants de 3 à 6 ans ! Le mois de septembre est beaucoup moins sportif également ! 

Dans une classe de maternelle à triple niveaux, la diversité des âges, des rythmes et des besoins pédagogiques peut sembler complexe à gérer. Pourtant, cette configuration est aussi une formidable opportunité de favoriser l’autonomie des élèves. En structurant l’espace, le temps et les interactions, j’ai appris à créer un environnement propice à l’engagement, à la responsabilisation et à l’apprentissage en confiance.

L’autonomie n’est pas synonyme de liberté totale : elle s’appuie sur un cadre sécurisant et structuré. 

L’aménagement de la classe est essentiel

Des espaces clairement définis (langage, arts, mathématiques, motricité fine, bibliothèque, espaces à scénarios…) permettent aux enfants de s’orienter facilement. Les repères visuels – photos, pictogrammes, couleurs – facilitent l’accès au matériel et favorisent le rangement autonome. 

J’attache une grande importance à faire prendre part à l’aménagement de l’espace aux enfants. Lors de la première période, je n’hésite pas à organiser des séances d’exploration du monde de l’espace en demandant aux élèves de placer les photo-étiquettes, en organisant des jeux de repérage dans la classe (mini chasse aux objets, aux détails).

Ma classe devient ainsi un lieu lisible, dans lequel chaque élève, quel que soit son âge, peut s’installer, choisir une activité, se concentrer et prendre soin de son environnement.

L’organisation du temps joue aussi un rôle clé 

Des outils comme les plans de travail illustrés, les brevets de réussite ou les ateliers autocorrectifs permettent aux plus grands de suivre leur progression. Je prévoyais plusieurs temps où mes grandes sections pouvaient réaliser les activités en autonomie dans un espace qui leur était dédié avec des activités uniquement pour eux. Ils prenaient beaucoup de plaisir à ces temps de travail et se sentaient valorisés. 

Les plus jeunes, quant à eux, apprennent par imitation, manipulation libre et accompagnement bienveillant. Des activités de constructions, des ateliers libres de manipulation, des espaces créatifs ou des espaces de jeux d’imitation sont favorables à leur autonomie

Favoriser l’autonomie demande une pédagogie explicite

Chaque activité est présentée avec soin, souvent accompagnée de supports visuels.J’ai pris conscience que dans une classe à triple niveaux, l’explicitation et la clarté des consignes et des règles étaient indispensables. Les enfants apprennent progressivement à gérer leur matériel, à respecter des consignes simples, à organiser leur travail, seul ou à plusieurs. 

Et les rituels ?

Les rituels (accueil, regroupement, rangement, retour au calme) contribuent également à structurer le temps et à rassurer les enfants. Ce cadre répétitif leur donne des repères et renforce leur capacité à s’autogérer. Très vite, je me suis rendu compte que le fait d’échelonner les rituels dans la journée permettait de gérer davantage mon groupe classe.

par exemple...

En classe à triple niveaux, l'autonomie se construit jour après jour, dans un environnement bienveillant, structuré et stimulant. Elle devient presque essentielle ! En m'organisant de manière souple, claire et cohérente, je suis devenue une sorte de chef d’orchestre, qui observe, accompagne, relance et permet à chacun de trouver sa place dans une dynamique d’apprentissage active et sereine.

mes conseils pratiques

 

Comment s’organiser dans sa préparation de classe ?

Fin juin : conseil des maîtres pour la répartition des classes ! L’annonce est faite : j’aurai un triple niveaux… Je n’en avais pas envie. Je suis prise d’une vague de panique et d’angoisse. 

Après quelques larmes, je l’avoue, je me suis dit que mes seuls alliés seraient la documentation et la préparation. J’ai établi la liste de tout ce que je devais réaliser (emploi du temps, programmations, progressions, espaces de classe), et je me suis lancée ! 

J'ai épluché les programmes et j’ai sélectionné les méthodes qui me permettraient de regrouper certains apprentissages par deux niveaux, par exemple. J’ai apporté une importance particulière à certaines progressions (bonhomme, prénom, appel, date). Le plus gros de ce travail avait été effectué pendant l’été, ce qui a été un gain de temps par la suite. 

En triple niveaux, il ne s’agit pas de concevoir un triple emploi du temps ou une triple programmation. Il faut trouver des outils intelligents, efficaces, structurants et qui vont nous permettre de nous organiser tout au long de l’année.

Penser par domaines transversaux et non par niveaux

En multi-niveaux, il ne s’agit pas de "préparer trois fois" sa classe, mais de construire des activités accessibles à tous, avec des objectifs différenciés.

  • La mise en place d’ateliers échelonnés simplifie aussi beaucoup le travail de préparation. Il s’agit de proposer un même support, des entrées différentes selon le niveau de développement, dans une logique spiralaire

 

  • On peut identifier ce qui est commun, ainsi que tous les domaines propices aux activités communes (langage oral, activités artistiques, activités physiques). 

 

  • On peut également proposer une œuvre artistique commune, composée de différents éléments, où chaque groupe de niveau de classe aura des compétences spécifiques à développer.
par exemple...

Structurer son emploi du temps autour de moments communs et de groupes tournants 

Une journée type gagne à être prévisible, tout en laissant une part de flexibilité

  • Regroupements ritualisés : accueil, météo intérieure, comptine, discussions autour d’un album, jeux de phonologie, etc.
  • Temps d’ateliers échelonnés ou autonomes, où les enfants travaillent en petits groupes pendant qu'on anime un atelier dirigé.
  • Temps de projets ou de jeux symboliques communs, propices à l’observation et à l’accompagnement de chacun.

 

Avoir des outils de planification efficaces 

Des programmations par domaines sur trois ans ; des fiches de préparation modulable avec des objectifs déclinés par niveau en précisant le matériel adapté ; un tableau de suivi pour les élèves. 

Réfléchir en termes de CUA 

La CUA constitue une approche dès la conception et non un simple ajustement a posteriori. En maternelle, cela revient à diversifier les supports, les entrées, les modes d’évaluation et les environnements d’apprentissage. 

Elle peut s’organiser de cette manière en classe à triple niveaux : 

  • Des activités communes à entrées multiples. Une même activité peut proposer plusieurs niveaux de complexité. On adapte les consignes, les attentes, le guidage, mais reste sur un support commun. Pour le jeu de tri :
    • PS (2 catégories) ;
    • MS (3 critères) ;
    • GS (classements croisés).

 

  • Un espace pensé pour l’autonomie et la différenciation :
    • aménagement des coins selon des fonctions claires (écrire, manipuler, jouer, créer) ;
    • matériel en accès libre, pictogrammes pour guider, bacs de difficulté progressive ;
    • mobilier évolutif, supports visuels à hauteur d’enfant, outils de communication (photos, pictogrammes, référents).

 

 

Comment travailler les compétences psychosociales ?

En fin de matinée, lors d’un temps d’atelier, Ruben (PS) renverse la boîte de perles de Lilou (MS) qu’elle venait trier soigneusement pendant plus d’un quart d’heure. Elle se met à pleurer. 

J’étais occupée avec un groupe. Je me suis interrompue et je suis intervenue avec douceur en demandant :

“Que s’est-il passé ? Comment te sens-tu Lilou ? À ton avis Ruben, que ressent Lilou ?”

J’aurais pu m’énerver, punir Ruben. Cependant, lui faire prendre conscience des émotions d’autrui me semble davantage bénéfique. Ruben peut aussi s’appuyer sur les expériences de ses camarades plus âgés de grande section qui pourront l’aider par le biais de l’imitation. 

Ces relations entre pairs m’ont été de grand secours au moment des temps de préparation à la récréation. Les plus grands, valorisés et pris d’empathie, de bienveillance et d’entraide, vont aider les plus jeunes à mettre leur manteau en leur montrant comment faire, en leur attachant leur fermeture éclair… Quel temps de gagné ! Quel stress en moins ! Et surtout des compétences psychosociales qui se développent…

En maternelle, les CPS se construisent progressivement, au quotidien, à travers les interactions, les jeux, les rituels, les projets et les activités vécues.

Le triple niveaux offre naturellement un terrain favorable à la coopération

Les plus grands jouent souvent un rôle de modèle pour les plus jeunes. Ils peuvent aider, expliquer, guider. Ce tutorat développe chez eux un sentiment de responsabilité, renforce leurs acquis et favorise la métacognition – la capacité à réfléchir sur ses propres apprentissages. 

Les plus jeunes, quant à eux, bénéficient de cette interaction en observant, en imitant, en posant des questions. La richesse de ces échanges nourrit la progression de chacun. 

La structure même de la classe favorise le développement des CPS  

Les plus âgés deviennent naturellement tuteurs et modèles des plus jeunes. Des situations d’entraide sont très vite apparues, notamment lors des temps d’habillage pour aller dans la cour ou bien pour montrer comment ranger la classe. Les plus petits observent, imitent et développent leur envie de faire comme les grands. 

Les temps de regroupement deviennent des temps pour apprendre à se connaître. Lorsque je regroupe tous mes élèves, c’était davantage pour les temps d’appel, pour raconter des anecdotes, pour chanter des chansons, s’écouter, s’imiter, etc.

Les temps de jeu sont des outils puissants pour développer les CPS.

 Les jeux de société, les jeux de coopération et les jeux d’imitation vont permettre d’apprendre à attendre son tour, respecter les règles, régler les conflits et les résoudre, faire preuve d’empathie.

par exemple...

Comment travailler en équipe ?

Mardi de la deuxième semaine de classe : épuisées, fatiguées, mais satisfaites, car avec mes deux collègues qui ont également une classe à triple niveau, on a pris le temps d’échanger sur l’organisation de nos temps d’accueil. L’une de mes collègues va le mettre par écrit. 

La seconde finit par se proposer de nous partager sa réflexion autour de l’organisation du rituel de la date avec la différenciation pour les 3 niveaux. Je leur propose de leur partager mon support de programmation périodique. Cette demi-heure de discussion vient de nous faire gagner des heures de travail ! 

J’ai pu comparer une année de classe en triple niveaux avec très peu de travail en équipes et d’autres avec un vrai travail d’équipe et la différence est inéluctable

Passer d’une logique linéaire à une vision spiralaire, souple, centrée sur les besoins des enfants

L’organisation est plus transversale, plus différenciée, mais aussi plus cohérente avec les réalités de la maternelle. Avec des outils adaptés, une structuration claire et un travail collaboratif, le multi niveaux m’est apparu comme un levier pédagogique, et non une surcharge. C’est une manière concrète de respecter le rythme de chacun, tout en cultivant le vivre ensemble. 

Nous avons également pu répartir plus facilement les élèves dans les classes de l’école. Avec mes collègues, nous avions une attention plus grande et une observation plus fine sur chaque niveau de classe. En effet, avoir 8 élèves de chaque niveau permet d’avoir une meilleure vue d’ensemble.

mes conseils pratiques

Pour conclure…

Un retour aux origines ! 

Avant la généralisation de l’école maternelle telle que nous la connaissons aujourd’hui, la classe unique rurale regroupait déjà plusieurs niveaux d’âge. En pédagogie Freinet ou Montessori, l’hétérogénéité n’est pas un obstacle, mais une ressource pédagogique. Elle permet l’émulation, la coopération, la différenciation naturelle. 

À l’origine même de la classe maternelle, existaient les salles d’asile qui regroupaient les enfants de moins de 6 ans des milieux ruraux. Ces “petits” groupes pouvaient se composer de 150 enfants avec 2 adultes ! 

La circulaire de 2015 relative aux programmes de maternelle affirme d’ailleurs que l’école maternelle est un cycle unique : ce qui légitime pleinement l’organisation en multi-niveaux, notamment PS-MS-GS ! 

Cependant, l'apparition des mentions “avant 4 ans” , “après 5 ans” invitent à réfléchir les apprentissages en fonction des âges des enfants. 

en bref

Le multiniveaux en maternelle ne s’improvise pas…

Il suppose un engagement professionnel fort, une pensée pédagogique construite et un temps d’ajustement. Mais loin d’être un frein, il peut devenir un cadre fertile pour le développement de pratiques innovantes, respectueuses des rythmes et des besoins des enfants.

Plutôt que de le subir comme une contrainte, j’ai choisi de le penser comme un levier : pour apprendre à travailler autrement, pour renforcer la cohérence des parcours d’élèves, et pour redonner sens à l’école maternelle comme école du lien, de l'autonomie, et du plaisir d’apprendre.

 

Natacha Cazogier, professeure des écoles en maternelle, enseignante depuis 18 ans, PEMF

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