Des fiches à télécharger pour s'outiller toute l'année !
En savoir plus
En savoir plus

Mutation et bal masqué : ma première semaine de rentrée

Julia Barré
4 septembre 2020 16:50
7 mn

« Ma première semaine »... Dit comme ça, vous pourriez penser que vous allez lire la rétrospective hebdomadaire d’une jeune recrue de l’Éducation Nationale, qui relaterait avec fraîcheur, envie mais aussi inquiétude, la découverte de son environnement professionnel. Et bien, que nenni : je suis ce que l’on peut commencer à appeler « une vieille prof » de 45 ans qui a enseigné pendant 20 ans dans le même collège REP de banlieue parisienne. Seulement voilà, pour cette rentrée 2020, j’ai muté ! Laissez-moi donc conter mes premiers jours dans mon nouveau collège REP.

Jour 1 avant la pré-rentrée

Ça fait plusieurs semaines que j’y pense à cette pré-rentrée, que je pratique la méthode Coué à base de mantras du type « C’est bon, tu sais faire, ça fait 20 ans que tu enseignes ! », « C’est bon, tu avais plein d’amis en salle des professeurs, tu t’en feras d’autres ! », « C’est bon, tu sais travailler en équipe, faire des projets ! »… Bref, je me la joue zen et, jusque-là, cela fonctionnait.

Mais vers 18h, sans prévenir, une petite boule noueuse s’est formée en moi, juste sous l’estomac (je suis sûre que vous voyez de quoi je parle) et je me suis mise à faire n’importe quoi : vérifier trois fois que j’ai mis tout ce que je voulais dans mon « sac d’école », décider que finalement le carnet, que j’avais soigneusement choisi pour organiser mon année, et bien « C’est de la m… » et qu’il faut impérativement que j’en change là, maintenant, TOUT DE SUITE, tout comme ce pantalon coloré pré-sélectionné pour le lendemain, qui, réflexion faite, me donne des airs de Bozo le Clown (référence datée, j’avais prévenu pour mon âge !). Tout ça m’amène gentiment à 1h30 du matin pour un réveil très matinal, j’avais prévu un teint de pêche pour faire bonne impression… C’est mal parti…

The D-Day : la pré-rentrée

Voilà, c’est le grand jour : le début d’une nouvelle page professionnelle et, malgré mon expérience (soyons honnêtes), je me retrouve telle une jouvencelle !

Tout d’abord, je décide de pimper un peu ce visage fatigué à coup de maquillage pour me rendre compte, en passant le pas de ma porte, qu’avec le masque, c’est totalement inutile voire même contre-productif au moment où on l’enlève (puisqu’alors, le maquillage est foiré) !

Direction la salle des profs en attendant l’heure de la première réunion. Je me perds deux fois, en mode élève de 6°, mais finis par y arriver.

Là, commence un lonnnng moment de solitude, celui où tu vois arriver plein de collègues qui se connaissent, sont contents de se retrouver, se racontent les vacances, se donnent des nouvelles des enfants… 
Moi, je suis là, plantée comme une cruche, je ne sais pas où mettre mon corps, je ne sais pas où mettre mes mots (donc je me tais). De temps à autre, un collègue compatissant me salue et me demande en quelle matière j’enseigne, d’où je viens… Cela engendre des conversations un peu répétitives mais ça fait quand même du bien. Merci les collègues compatissants !

Pour arranger le tout, COVID oblige, on est tous masqués et donc même si je m’étais dit que j’allais sur-aiguiser mon mode « reconnaissance faciale » pour réussir à placer correctement au moins 3 prénoms en fin de journée. Je me rends bien vite compte que ça va être une vraie galère et que, si chacun ne se résout pas à se coller une étiquette nominative sur le tee-shirt, je ne saurai toujours pas qui est qui en février.

Allez hop, réunion ; tout le monde se meut vers la salle polyvalente et j’y vois comme un soulagement : je vais pouvoir souffler de cette « épreuve de socialisation » dont il faut bien admettre que je ne suis pas sortie gagnante… Erreur fatale ! N’ayant pas eu à vivre cela depuis 20 ans, j’avais oublié le sacro-saint moment de « présentation des nouveaux ». 

Et me voilà donc obligée (comme les autres nouveaux, me direz-vous) de me lever et me présenter. Étrangement, le masque devient un atout ; il cache mon trouble et je pense que personne n’a vraiment entendu ce que je disais.

Ensuite, en dépit de toute la bienveillance de ceux qui présidaient les réunions qui se sont enchaînées, je me suis sentie assaillie d’informations, exactement comme si je ne connaissais rien à rien : Kwartz, Neo, TNI, TBI, stylet, protocole de retenue, PV d’installation, séjour d’intégration, formation numérique, manuels, clef de salles, EDT, groupes, classes partagées… 

Toutes ces choses que je connaissais par cœur dans mon ancien établissement et qui me semblaient parfaitement naturelles sont redevenues une jungle de données à démêler, à ingurgiter. Ma seule arme de défense fut de tout prendre en note, à la manière d’un étudiant de fac devant un prof qui débite un cours obscur, se disant qu’il comprendra plus tard.

Des outils concrets pour structurer votre année

Retrouvez toutes les ressources pour ne pas vous laisser débordé.e !

Au milieu de ce dédale de réunions, je ne peux m’empêcher d’évoquer le temps de la cantine. Chacun à la file, au self, égaye son plateau de friand au fromage et autre compote de pêche. Arrive le moment de se placer à table. Les groupes se forment selon les connivences et là, je vous jure que, dans ma tête, j’ai eu l’impression de vivre une de ces scènes de séries américaines pour ados ! Vous savez, la fameuse scène où le nouveau est tenté de s’installer avec le groupe des « cools », mais en fait non, ça ne va pas le faire. Visualisez la scène et mettez tout le monde avec un masque (on est avant la première bouchée), vous verrez que de toute façon, « les cools », on ne peut même pas essayer de les repérer. In fine, j’ai demandé timidement si je pouvais m’installer à une place vacante. Au bout de deux minutes, je me suis aperçue que j’avais « pris » la place d’un professeur qui rejoignait ses collègues de prédilection. J’ai passé mon repas à jouer au ping-pong visuel entre des gens qui se parlaient « par-devers moi » tout en souriant niaisement pour me faire croire que j’étais active dans la conversation.

Jour 1 avant la rentrée - Approfondir sa connaissance du milieu

Après une soirée agitée à ruminer tout ce que j’aurais pu dire ou faire pour sembler plus « intéressante », j’entame la deuxième journée pleine de détermination.

Ce qui s’offre à moi est de l’ordre du connu puisque le programme du jour va se répartir entre installation de ma salle (j’ai la chance d’en avoir une) et conseil d’enseignement. J’ai hâte de poser mes trucs et mes machins tout comme de découvrir la manière dont mes collègues travaillent. Un monde des possibles s’ouvre à moi, je suis regonflée à bloc. Je ne vais pas vous narrer dans le détail tout ce qui s’est passé, mais, ce que je peux vous dire, avec un peu de recul, c’est que ce qui m’a frappé c’est la notion de décalage. Tout s’est déroulé comme si j’évoluais dans une dimension parallèle pour des détails insignifiants comme pour des choses capitales. Voici un florilège de ma quatrième dimension :

Nouvel établissement

 

Ancien établissement

Quand tu rentres dans les toilettes, tu as envie de mettre tes lunettes de soleil tellement ça brille et une odeur de citron propre vient te chatouiller la narine.

 

La peinture des murs cloquait sous les assauts répétés des petites projections d’urine et on avait même baptisé un cheveu, resté 3 semaines sur la cuvette, Séraphin.

La photocopieuse semble s’ennuyer, seule, dans une pièce attenante à la salle des professeurs. Même un jour de rentrée, elle reçoit peu de visites.

 

On passait sa journée à faire la queue pour y accéder et il ne se passait pas 5 minutes sans qu’une salve de 25 copies ne soit lancée.

Il y a un vrai cuistot à la cantine.

 

Il y a des bacs en plastique livrés et réchauffés au bain-marie.

Personne ne gère les manuels et c’est une sorte de foire d’empoigne à qui récupérera les plus récents et en nombre suffisant ; on se croirait limite à l’ouverture des soldes aux Galeries La Fayette.

 

Les collègues se mettaient d’accord sur un choix commun pour chaque niveau et chaque élève pouvait en bénéficier.

On ne doit pas dépasser 4000 photocopies par an, sans manuel... 

 

La guerre du papier est terminée depuis longtemps.

On a un parking pour garer sa voiture ou son vélo.

 

La journée commençait bien quand on trouvait une place de stationnement à moins de 500 mètres du bahut en zone bleue avec un disque à changer toutes les 90 minutes.

On annonce que ton équipe de 5 enseignants doit faire avec un budget annuel de 300 euros. 

 

Ton équipe de 6 jouissait d’environ 1000 euros (alors que les deux collèges sont REP… De quoi en perdre son latin…).

 

Jour 2 et Jour 3 : Découvrir les élèves

Bon, ce n’est pas tout de se regarder le nombril en se demandant ce qui m’arrive mais la semaine avance et vient le moment de “la vraie rentrée”, à savoir, les premières heures devant les élèves. J’adore ces premiers temps, j’ai toujours l’impression d’ouvrir une pochette surprise. Ceci dit, comme tout le monde, je suis aussi inquiète de découvrir des élèves via le masque. J’ai peur que cela tronque la perception que je peux avoir d’eux et réciproquement. 

Niveau sécurité sanitaire, le Principal s’est voulu rassurant : masques, désinfection des mains puis cours le plus normalement possible. Mais voilà, on a beau feindre la normalité, tout cela reste bien étrange. Le déconfinement m’a, certes, permis de me tester sur le port du masque en classe, mais c’était avec des élèves en groupe restreint que je connaissais depuis le début de l’année scolaire, dans des locaux familiers et avec des horaires adaptés. Rien à voir en termes d’enjeu relationnel et d’endurance…

Après deux jours de mise en situation, j’ai eu l’impression de vivre une rentrée quasi banale.

J’ai préparé une tonne de photocopies pour mettre en place mes outils méthodologiques pour chaque classe (je vais faire péter le compteur des 4000 d’ici novembre!).
J’ai bien transpiré sous les bras à la première arrivée de chaque cohorte devant ma salle mais si, dans le même temps, je me suis parée de mon habit de calme et de fermeté pour les faire se ranger. 
J’ai fait l’appel en écorchant des prénoms parce que j’avais de la buée sur mes lunettes. 
J’ai réussi à mettre en place le rituel de début de cours. 
J’ai dit à Clara de ne pas s’affaler sur sa table et à Marc d’arrêter de se balancer sur sa chaise. Je me suis fait “tester” par quelques élèves qui voulaient voir si j’avais du répondant.
J’ai pu expliquer mon fonctionnement en classe en soufflant comme un bœuf dans mon masque parce que j’avais trop chaud à cause du stress. 
J’ai fait le tour de ceux qui avaient leur matériel et de ceux qui ne l’avaient pas. 
J’ai ri, j’ai fait les gros yeux aux bavards, me suis fait bananer par un Ayoub pendant une heure qui s’appelle en fait Rayane. 
J’ai tenté des blagounettes foireuses et j’ai dit que « Oui, il y aurait des devoirs ».

Me restait tout de même le cœur une frustration ; alors pour chaque classe, j’ai pris le temps de m’arrêter, de reculer le plus loin possible d’eux (ma salle est grande) et de retirer trente secondes mon masque pour qu’ils voir mon visage et que je puisse enfin leur sourire pleinement

Et vous, comment s'est déroulée votre semaine de rentrée ?

Isabelle, nouvelle “vieille prof”

:

6 profs ont trouvé ce contenu utile

PARTAGER

Commentaires

  • Agnes.Mary — 5 septembre 2020 11:37

    Merci pour ce partage d expérience, d après pris le temps d'écrire ce que beaucoup de nous ont pu vivre,moi la première en tant que T1,PP de secondes, changement de salle pour les profs quasi toutes les heures : RDC,3 eme étage puis de nouveau RDC pour finir au second pour la dernière heure du matin !! Bref merci cela m a fait du bien de vous lire

Vous devez être connecté-e pour publier un commentaire.

Me connecter pour réagir

utile

Des articles pratiques et concrets !


pertinent

Un contenu sélectionné par des enseignants


éclairé

Une aide dans le quotidien des enseignants


adapté

Des contenus adaptés à votre profil