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Jeudi matin, j’avais rendez-vous avec les gars du service civique ; trois jeunes bambins d’une vingtaine d’années que je jetais en pâture à mes 3èmes Prépa Métiers. Oui, je me rendais bien compte que je re-créais sans vergogne le lâcher de chrétiens aux bêtes sauvages durant les jeux du cirque. Sauf que les lions faisaient sans doute preuve de plus de clémence que mes élèves…
Vous savez, le genre de frisson glacé qui vous parcourt l’échine quand vous regardez l’exorciste ou quand on vous apprend que vous allez être inspecté. La même :
Bonjour Monsieur Z,
Nous venons demain et nous avons choisi de faire travailler les élèves sur un sujet qui leur tient à cœur, ça revient souvent dans leurs demandes.
On va bosser deux heures sur Jul.
D’abord j’ai pensé à un piratage : on allait me proposer un lien sur lequel cliquer et j’allais donner mon numéro de carte à une association reptilienne de domination sur le monde. Mais non.
J’ai cru ensuite à une blague de potache : « Qu’ils sont couillons ces petiots ! Et pourquoi pas une séance sur la bio de Maéva Guénam ? ha ha ha »
Mais non. C’était pas une vanne. Oui mais alors non. Depuis quand on suit les demandes des élèves ? Si je les suivais, je serais sans doute hors des clous. Je serais tout simplement devant l’inspection académique - ou au commissariat pour m’expliquer devant les forces de l’ordre. Suis dans ma paranoïa.
J’entre avec le trio dans la salle réservée - ce qu’on appelle la salle audiovisuelle : écran géant, son atmos', de quoi se mettre bien. Mes élèves entrent dans un silence tout à fait subjectif ; c'est-à-dire en hurlant. Ils sont apparemment très contents de voir le service civique. Bien plus que moi m’exprimant sur les rêves et les progrès scientifiques.
La classe s'assoit. Le programme est donné. Tout le reste n’est que littérature.
Car là, dans une semi-pénombre décourageant les lancers de projectiles, un court métrage commence sur des jeunes se réclamant fans de l’Artiste. Le silence se fait alors religieux. Comme dans une cathédrale, on entonne l’homélie. Une homélie urbaine et grammaticalement approximative, ou le « Chez moi ça taf au black ca vend du shit, qu’un seul but en tête c’est faire du chiffre » remplace le « In Nativatem Salvatoris ». Mon idée du sacré en prend un coup, je suis pratiquement le seul à faire du bruit en respirant. Enzo est en apnée hypnotique.
Puis c’est le blind test : deux équipes se forment de chaque côté de la salle. Il faut retrouver le nom de la chanson et le nom du groupe. Le premier morceau voit exploser une ribambelle de doigts dressés.
Même quand je demandais qui voulait aller chercher un feutre pour le tableau, il n'y en avait pas autant. De ces index foisonnants montait une clameur - bon disons-le plutôt des beuglements. Tout le monde voulait prendre la parole. Les réponses, justes, fusaient. Voilà Loïs qui donnait à la fois le nom, le prénom, la nationalité mais aussi la pointure de Niska. Le même Loïs qui avait hésité la fois où je lui avais demandé son prénom. Je me rendais compte dans un mélange de satisfaction et d’effroi que la plupart connaissait toutes les paroles des titres - pardon « des sons » proposés. Là où moi je ne parvenais pas à embrasser l'entièreté de la prosodie de ces gentils gaillards bien sympathiques. J’étais à côté.
Les scores : 32 à 25 je crois (un truc de baby foot). La salle s’était transformée en sorte de concert improvisé et j’avais peur de voir débarquer Bachelot et les forces de l’ordre pour couper l'électricité et ramener la culture dans la fange dans laquelle elle se noyait depuis des mois.
Le blind test terminé, la foule exsangue se reposait avec un atelier d’écriture, un poil moins suivi que l’activité précédente, mais où j’ai eu tout de même le plaisir de remarquer que j’avais des élèves poètes. Bon, des poètes guerriers, un peu à la manière des croisés du Moyen-Âge. Y avait plus de testostérone que chez Ronsard, mais soit.
Personne ne l’entend et veut réellement s’en aller, mais le rendez-vous est pris pour la prochaine fois. Mes choupis sont ravis. Le trio aussi. Et moi je me trouve pour le coup bien mauvaise langue.
Juste deux détails pour la prochaine fois :
Monsieur Z., prof de lycée pro quelque part en France, dont l'humour sévit sur Facebook et sur Instagram
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