Les yeux encore embués par le sommeil, un T1 se lève tôt, en général enorgueilli par la soirée de la veille : encore une pire teuf avec ses camarades du master MEEF, qu’on appelle les M’enfin (« M’enfin Catherine, tu vas quand même pas devenir prof ! Où est passée ton ambition ?  » claironnait Tante Suzette) autour du jeu à boire : Meirieu Rufo ou Mojito. Tu trouves pas, TU BOIS. Ces soirées se finissent en général pour les plus aguerris par des débats pédagogicophilosophiques sur le statut de l’apprenant. Ce qui donne une sacrée gueule de bois. Mais une gueule de bois prise au berceau.

Une fois le chocolat avalé (le T1 n’a pas encore succombé aux délices abyssaux de la caféine), il s’adonne aux plaisirs simples de la vie : la préparation des séquences de l’année prochaine. Ahhhh, les premières séquences d’un enseignant. Sorte de madeleine de Proust, mais un peu lourde genre qui coule au fond de la tasse. Le souci de bien faire, l’application au sommet de son art, façon préparation du Gong Fu Chat. Chaque mot est pesé, chaque illustration choisie avec soin. D’ailleurs on reconnaît un cours de première année d’enseignement au nombre de lignes établies entre la date en haut et le début du support proprement dit : séquence, séance dans la séquence, pré-requis, compétences, aptitudes, problématique, place dans l’univers, tectonique des plaques…C’est carré. Comme la Corée. 
Plus tard, une fois dans l’apogée, on se rend compte que ces lignes là ne seront que de l’espace créatif à la composition artistique de pénis, de feuille de cannabis ou encore la mention basique « On a quoi après celui-là qui rend fou ? ».

Il est temps pour notre T1 de se rendre dans le paradis de l’enseignant, l’oasis rêvée pour le nomade pédagogique qu’il incarne : le célèbre magasin qui commence par Ac- et qui finit par -tion. Ne croyez pas qu’il en existe trop peu, il avalera de toute manière des kilomètres pour s’y rendre, façon route séance 66. Mais pourquoi me direz-vous ? Mais prendre des post-it de couleur ma foi ! 
Le T1 est à la pointe de toute technologie apprenante et il aura à cœur de proposer à ses futurs premiers élèves de corriger avec un crayon 4H lorsqu’il s’agira du premier jet, puis en 2B lors du jet correctif. Oui. Ce sont ces petits détails qui trahissent les T1 lors des premières semaines. Ça et le tressaillement inconscient à l’ouverture de la porte, peur primale d’un IPR dissimulé derrière.

Le T1 va souvent boire une tasse de thé en bon padawan avec le sage le plus éminent de son domaine (comprendre du quartier), celui aux tempes grisonnantes, au regard à la fois décidé et dans le vague, pouvant décocher une évaluation sommative en moins de temps qu’il ne faut pour dire “socle commun de compétences”. Et là, ébahi devant tant d’expériences, notre T1 écoutera avec un plaisir mélangé de peur les aventures épiques de notre hors classe, comment il a triomphé d’un bourrage papier le jour de son inspection ou avec quelle dextérité il a évité une boulette de papier prémâchée expulsée à toute vitesse par la bouche experte d’Enzo. De ses récits de bataille, notre T1 ressortira ému, confirmé dans ses choix, mais aussi avec des débuts d’ennuis gastriques propres aux périodes de prérentrée scolaire.

Place à la détente après une journée bien remplie. Rien ne vaut un bon petit visionnage de pépites cinématographiques telles que Esprits rebelles, Écrire pour exister, Le cercle des poètes disparus ou encore la série Le Remplaçant.
Le T1 s’imagine, entre dans une sorte de transe solitaire (si compagne/on il y a, cette personne est déjà allée ou signe les papiers du divorce en scred dans la salle de bain !) avant de mimer les scènes pédagogiques en intégralité, singeant notre héros mais en claquettes-chaussettes.

Place au sommeil réparateur ! Il est à noter que dès le mois d’août, le sommeil réparateur du T1 sera passablement raccourci - la faute au cortex cérébral, qui semble s’adonner au plaisir de l'imagination fertile des plus désarçonnants. Oui, le T1 devra peut-être réfléchir à cette question essentielle vers 4h du matin :

Comment assurer une séance optimale en pédagogie inversée avec un volcan avoisinant entrant en éruption ? Une coulée de lave va-t-elle plus vite qu’une évaluation sommative ?

Parce qu'on sait jamais. Finalement. L’ESPE ne nous prépare pas à tout. 

Monsieur Z., prof de Lycée Pro quelque part en France, dont l'humour sévit sur Facebook et sur Instagram.