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Théorique Pratique

Enseigner le langage, donner la parole en classe de maternelle

Émilie Hanrot
17 février 2022 17:02

Être une personne parlante, cela permet de communiquer, mais aussi de comprendre, d’apprendre et de réfléchir, de formuler sa pensée. Il convient donc à chaque professeur·e des écoles de veiller à mettre en place des situations langagières quotidiennes. L’idéal serait que l’on puisse se dire à la fin de la journée : « J’ai discuté avec chacun et chacune de mes élèves aujourd’hui, et il ou elle a eu l’occasion de prendre la parole. » Tous les élèves qui quittent l’école maternelle devraient pouvoir oser prendre la parole en grand groupe pour participer à un échange, exprimer un avis ou donner leur point de vue. Pour cela, il faut qu’ils et elles aient eu la possibilité de le faire, mais surtout d’apprendre à le faire.

Enseigner le langage, une priorité pour réduire les inégalités

Le langage est devenu au fil des années une des priorités à enseigner à l’école maternelle. Et c’est une nouveauté. En 1977, par exemple, en tête des programmes se trouvait l’affectivité. Puis, le mouvement, l’action, les représentations motrices, l’expression corporelle, l’expression vocale, la musique. Venaient ensuite l’image et les représentations iconiques, et enfin le langage oral et écrit.

Aujourd’hui, pour combattre l’illettrisme et réduire les inégalités, le langage se trouve en tête des programmes : « Le domaine Mobiliser le langage dans toutes ses dimensions réaffirme la place primordiale du langage à l’école maternelle comme condition essentielle de la réussite de toutes et de tous. » (cf. le programme de l’école maternelle de 2021). 

Le langage, une discipline à part entière et un apprentissage à expliciter  

J’ai retenu une phrase emblématique d’une inspectrice qui affirme que l’oral du bac se prépare dès la petite section. Ce qu’elle entend par là je suppose, c’est que la façon de parler s’apprend. Le langage enseigné à l’école est très spécifique : il est normé et répond à des codes. Tous les élèves n’ont évidemment pas accès à ces codes à la maison. Dans certaines familles, si un enfant demande des « zaricots », il sera instantanément repris. Il ou elle comprendra très tôt qu’il y a une « bonne » et une « mauvaise » manière de parler. Il ou elle saisira implicitement que le langage est une matière à part entière qui s’étudie, que l’on peut perfectionner. 

Pour s’assurer que tous nos élèves sachent cela, il convient d’être très explicite et d’institutionnaliser ces moments d’apprentissage. Bébé, on se lance dans la communication verbale par l’imitation. Les premiers essais langagiers ne sont que la répétition de sons entendus. Parler correctement, cela s’enseigne. En famille, les locuteurs plus avancés reformulent tout naturellement pour le jeune enfant. Quand un bébé dit « da » en voyant son père entrer dans une pièce, nous l’encourageons : « Oui, c’est papa. Pa-pa ». 

Là où les inégalités langagières se creusent, c’est dans le nombre de mots que les enfants entendent entre la naissance et l’entrée à l’école. Dans certaines familles, on s’adresse aux enfants essentiellement avec des phrases injonctives : « Viens manger ! », « Enlève tes mains… », « Range tes jouets ! »… Quand, dans d’autres, très tôt l’enfant sera encouragé à donner son avis et par conséquent aura une aisance verbale qui lui permettra d’exprimer ses idées et non pas seulement ses besoins : « Tu ris ? Qu’est-ce qui te fait rire sur cette image ? Tu voudrais qu’on relise le livre avec le clown rigolo ? »

Les enfants arrivent donc à l’école avec un bagage langagier d’une effrayante hétérogénéité. Réduire cet écart de vocabulaire, de syntaxe, de culture du mot paraît être une tâche bien impossible à relever. À l’école, les élèves doivent donc tous et toutes entendre que le langage va leur être enseigné. Que l’on va leur apprendre à s’exprimer, à structurer leurs prises de parole. Et ce dès la petite section : « Nous allons faire une séance de langage pour comprendre ce texte. Pour imaginer ce que ce personnage pense. Pour vous entraîner à expliquer ce que vous pensez, pour utiliser le nouveau vocabulaire. »

De la difficulté de faire parler

Cela étant dit, nous avons tous et toutes été confronté·es à la difficulté de donner la parole à nos élèves. Entre celles et ceux qui ne prononcent pas un son, celles et ceux que l’on ne comprend pas, qui n’articulent pas, qui ont leur propre langage, ou qui monopolisent la parole et sont hors sujet… La tâche est compliquée. Peut-être que la première chose à faire pour s’en sortir, c’est déjà de se pencher très honnêtement et sans jugement sur sa pratique. Qui parle le plus dans ma classe ? Les élèves ou moi ? Qui sont les élèves que je n’entends jamais ? Se rendre compte que l’on monopolise la parole est un bon début pour chercher à faire autrement. 

Le premier conseil que je pourrais donner serait donc de se taire au maximum. Et d’encourager les élèves à prendre la parole : leur donner l’occasion d’expliquer les consignes à notre place, leur demander leur avis, leur apprendre à s’écouter les uns les autres, à attendre son tour.

Le travail de Pierre Perroz sur la pédagogie de l’écoute est très intéressant et va dans ce sens. Lors de séances de langage très ritualisées, ce sont les élèves qui parlent. Et presque uniquement eux et elles. L’adulte sert à réguler et à animer, il ou elle se met en retrait. Au fil des séances, les élèves s’approprient la méthode de travail et se lancent dans des phrases de plus en plus complexes. Comme ils et elles ne sont ni repris·es ni corrigé·es, ils s’auto-corrigent ou viennent ajouter un éclaircissement à ce qui vient d’être dit par un ou une autre autre. L’élève apprend à se saisir du langage non plus par sollicitation directe « untel, réponds à ma question » mais de son propre chef. Il en découle que ce qu’il ou elle dit est le résultat d’une réflexion personnelle élaborée.

Peut-être que si l’on ne se sent pas à l’aise avec une méthode comme celle-ci ou qu’on ne se verrait pas l’utiliser, on peut quand même se saisir de quelques idées et faire évoluer nos pratiques. Par exemple, poser des questions ouvertes à nos élèves qui demandent des réponses plus réfléchies que « oui » ou « non » : « À votre avis, que pense le héros quand il lui arrive ceci ? Et vous, quand avez-vous ressenti cela ? »

Il faut permettre à chacun et chacune de répéter ce qui a déjà été dit, même si ce n’est qu’un mot. Si vous demandez à vos élèves de décrire une image, et que un, deux, trois enfants répètent « un loup », voire même juste le mot « loup », c’est un très bon début qui doit être absolument encouragé. La répétition est une prise de parole, certes plus modeste que l’élaboration d’une pensée, mais c’est le début de quelque chose. Et c’est à propos. Nous assistons-là à la mise en place du langage. 

La pire erreur (que j’ai maintes fois commise avant d’en être consciente) serait de dire d’une voix chargée de reproche : « On l’a déjà dit ! » ou  « N’importe quoi, ce n’est pas un renard, c’est un loup. » Ce serait le meilleur moyen de dissuader les bonnes volontés de s’essayer à prononcer quoi que ce soit.

Donner confiance pour développer un climat de classe propice à l'épanouissement de la parole

L’élève de maternelle doit faire face à une grande difficulté lorsqu’il ou elle veut s’exprimer, puisqu’il ou elle apprend à parler en même temps qu’essayer de dire sa pensée. La syntaxe, le vocabulaire, la prononciation : tout est nouveau et en construction chez l’élève. Il faut donc s’attendre à des erreurs, des hésitations, de l’incertitude de sa part. Dans sa réflexion qui accompagne l’énonciation, il va y avoir des ratés. C’est très important que nous laissions le temps à nos élèves d’essayer sans les reprendre systématiquement. De les laisser jouer avec les sons et les tentatives malhabiles.

Je suis toujours émerveillée par leur intelligence. Celles et ceux qui se lancent sans complexe dans des récits parfois confus où se mêle envie de partager « Ma mamie elle a un chien » le plaisir de jouer avec les sons produits, l’envie de se faire comprendre. Lorsque Fatoumata me dit un jour « Je veux pas que tu t’en partes », j’ai été touchée par le message, mais aussi par cette tentative brillante de subjonctif qu’elle n’aura pu inventer que grâce à un travail habile et invisible d’association de verbes précédemment entendus et archivés dans son cerveau.

Lors de nos séances de langage, je pense qu’il faut donner de la place à ces initiatives, et ralentir le questionnement magistral. Leur laisser le temps de parler. Vraiment. Pour qu’un ou une élève se sente le courage de prendre la parole, il faut que le climat de classe soit suffisamment rassurant pour que la prise de risque soit minimale pour nos parleurs et parleuses débutant·es. Ma fille, qui est en Première, me racontait qu’en cours de bio l’année passée, elle était intervenue au sujet de cellules souches. Elle se souvient d’avoir naïvement demandé si certaines cellules s’appelaient « filles », puisqu’il y avait des « souches mères ». La classe avait éclaté de rire et la professeure l’avait gentiment moquée. Elle m’a dit qu’elle n’avait plus pris la parole de l’année. J’en suis encore désolée pour elle. La honte n’a que faire dans nos classes. L’humour aux dépens des élèves non plus. Cela est injustifiable, mais hélas trop courant.

Si je suis prise par surprise par une erreur d’élève, un jeu de mot mignon qu’il ou elle aurait fait et que je pouffe, je me ressaisis immédiatement et demande pardon ou explique mon rire. Dans tous les cas, je ne laisse jamais un ou une élève avec le sentiment que ce qu’il ou elle a dit est idiot ou risible. Un cou de girafe à la place d’un clou de girofle ? C’est du work in progress. Pas de quoi se moquer. Quand notre élève se trompe de phonème, nous pouvons avoir un retour modélisant et réutiliser le même mot que lui ou elle sans pour autant lui pointer du doigt qu’il a fait une erreur.

 Travailler la phonologie se fait en activité décrochée, ce n’est pas nécessairement pertinent de déplacer le sujet d’un échange vers la prononciation ou la grammaire. Cela peut freiner l’élève dans son élan ou le décourager. Si je me lance dans une conversation dans une langue étrangère que je ne maîtrise pas, je n’aurai probablement pas envie que mon interlocuteur me reprenne à chaque erreur.

Écouter pour donner envie de parler

Le temps presse à l’école. Et c’est bien dommage, car les jeunes parleurs et parleuses ont leur propre temporalité. On ne pourra pas les forcer à répondre à une question devant le reste de la classe. Cependant, si nous savons nous rendre disponibles et que nous sommes à l'affût de leurs prises de parole, si infimes soient-elles, nous nous rendrons compte qu’ils et elles ont des choses à dire. Pas toujours au meilleur des moments, mais lorsque les vannes s’ouvrent, c’est le début d’une belle histoire. Cela peut se faire au coin lavabo, au moment de se laver les mains, à l’accueil lorsque l’on se salue, dans le couloir en direction de la gym. Prendre le temps de se mettre à la hauteur d’un enfant et de lui signifier par votre regard et votre disponibilité « Je t’écoute », c’est lui offrir un espace très précieux pour oser s’exprimer.

De la même manière, si un ou une de mes élèves prend la parole en grand groupe, je suis très attentive à ce qu’il va dire, et je demande au reste de la classe d’en faire autant. Je distribue la parole s’il y a besoin de régulation et propose à qui veut d’intervenir. Sans oublier ceux et celles qui ne se manifestent pas, mais qui sont ravis de parler si on leur donne nominativement la parole. Je n’ai jamais eu recours au bâton de parole, mais j’ai rencontré des collègues qui l’appréciaient. Je n’hésite pas à remercier un enfant d’avoir pris la peine de partager un moment de parole. Même lorsque c’est inintelligible. Il ne s’agit pas de lui faire croire que nous avons compris si cela n’est pas le cas. Il s’agit d’accompagner les efforts et les encourager. 

Imaginons Natacha qui maîtrise les intonations d’une conversation, mais dont le babillage est quasiment inintelligible. Un autre élève l’interrompt pour lui signaler que l’on ne comprend rien (cela arrive tous les ans). J’interviens fermement :
 « Natacha apprend à parler et voudrait nous dire quelque chose. Pour l’instant, ce n’est pas facile pour elle. Je vous demande de la laisser terminer et de lui laisser le temps dont elle a besoin. Natacha, tu parlais d’un singe ? »
_ Inge, ba bi, aille, papa, mama, inge.
_ Je n’ai pas tout compris, un singe a fait mal à quelqu’un ? »

Elle hoche la tête pour acquiescer et ajoute : « Aille ». Puis je dis : « Je te remercie. 
Est-ce que quelqu'un d’autre voudrait dire quelque chose ? » 

D’un locuteur ou d’une locutrice à l’autre, l’attention est un moteur fondamental. J’écoute Natacha et je demande au reste de la classe d’en faire autant. Natacha peut donc se lancer. Elle peut oser entrer en communication. Ce qui est un des attendus de fin d’école maternelle. Je l’écoute car ce qu’elle a à dire m’intéresse, elle le sent, elle le sait, elle essaie.

Pour aller plus loin, Dominique Bucheton, ancienne institutrice et professeure honoraire des Universités, s’est penchée sur les différentes postures enseignantes. Elle évoque dans cette conférence le respect réciproque entre l’élève et son professeur pour maintenir « l’espace dialogique » entre les deux. L’atmosphère de la classe et la relation éducative et didactique qui s’y joue sont fondamentales pour espérer que nos élèves acquièrent le programme. Lorsque l’on aborde le sujet de la prise de parole à l’école, et que l’on aimerait que nos élèves participent, il est essentiel de prendre en compte nos élèves comme personnes sensibles, riches de leur culture. La relation que nous tissons avec elles et eux est celle d’un individu à un autre individu. Pour cela, nous devons les écouter et les laisser parler. 

Émilie Hanrot PE, diplômée de l’école Camondo (design et architecture intérieure) - Youtube Kiffer l’école

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