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Théorique Pratique

Étayer et différencier pour accompagner l’apprentissage

Audrey Caltanella
20 février 2024 15:55

Le XXème siècle a été marqué par des courants pédagogiques nombreux et très variés, allant de la liberté absolue laissée aux apprenant·es, portée par Neill à Summerhill, à un encadrement très strict à l’image de Skinner et des behavioristes. Dans cette profusion de théories et d’expérimentations, la figure de Jérôme Bruner, qui a traversé le siècle, propose une voie médiane autour de la pédagogie de la découverte. Cette pédagogie implique des interactions très fortes entre les adultes et les enfants dans un contexte d’éducation positive. La notion de guidance y est centrale. Quel niveau de guidance est bénéfique ? Quelles différences y a -t-il entre cette guidance, un accompagnement et un soutien ? Et n’est-ce pas finalement le concept d’étayage, développé par Bruner il y pourtant bientôt quarante ans, qui synthétise le mieux ces notions ? 

L’étayage : une voie médiane au plus près des besoins de l’élève

Transfuge venu d’autres domaines tels que la charpente ou le jardinage, le terme d'étayage implique donc la notion de support, de soutien pour permettre le maintien et/ou la croissance de l’élément auquel on l’applique. Appliqué à la didactique, en quoi est-il comparable ou différent des notions d’accompagnement ou de soutien qui sont également à l’œuvre dans nos classes ?

Étayage, accompagnement, soutien : des notions équivalentes ?

Ces différents termes ont en commun un postulat : on apprend mieux, plus vite et on va plus loin dans un environnement positif, bienveillant et en étant guidé par des personnes expertes qui maîtrisent les notions que nous cherchons à acquérir. Ce contexte commun serait donc bien celui d’un accompagnement dont chacun et chacune a besoin pour progresser et s’épanouir, et ce quel que soit son niveau de compétences. 

À l’inverse, la notion de soutien implique une relation très individualisée avec un élève, souvent sur un temps différent de celui de la classe ou en tout cas dans un espace aménagé à cet effet, à part du reste du groupe. Visant à renforcer une notion, à surmonter un obstacle qui freine l’acquisition d’une nouvelle compétence, il est ponctuel et se décompose en temps courts. Il est donc la plupart du temps proposé à des élèves qui rencontrent des difficultés ciblées.

L’étayage porté par Bruner propose quant à lui une voie vers l’autonomisation en visant la réussite éducative au sens large : un étayage pour maîtriser les savoirs scolaires certes, mais aussi pour acquérir l’autonomie dans les domaines de la méthodologie et de la métacognition. Savoir, apprendre, mais surtout savoir apprendre et savoir apprendre à apprendre !

La posture enseignante adaptée : ni trop près, ni trop loin des compétences de l’élève

L’étayage est une aide apportée par une personne experte - ici l’enseignant·e - pour permettre à l’élève d’accomplir une tâche qu’il ou elle n’aurait pas pu réaliser seul·e. Pour qu’il y ait étayage, il faut veiller à ce que l’apprenant·e agisse ! En effet, si l’enseignant·e expert·e fait à la place de l’élève, il ou elle aura certes accompli la tâche, mais n’aura rien appris ! À l’inverse, si l’enseignant·e expert·e simplifie trop et aide trop l’élève, ou encore lui donne une tâche trop facile, il ou elle n’apprendra rien non plus ! Pas simple de trouver la juste distance. L’enseignant·e est ici un médiateur ou une médiatrice des apprentissages dans une interaction de tutelle.

C’est Lev Vygotsky qui nous apporte l’outil théorique permettant de trouver cette juste distance, ni trop près ni trop loin des possibilités de l’apprenant à l’instant T. Il définit en 1934 la Zone proximale de développement (ZPD,) illustrée par cette phrase : “Ce que l’enfant est en mesure de faire aujourd’hui en collaboration, il saura le faire tout seul demain.” (Lev Vygotsky, Pensée et Langage). La Zone proximale de développement est aussi appelée “zone de proche développement”, expression peut-être encore plus parlante, qui exprime bien ce stade où l’élève “y est presque”. Travailler dans la ZPD, c’est donner le petit coup de pouce qui manque à l’élève pour résoudre ce problème de maths ou pour comprendre ce document en anglais. Déplacer tout doucement la zone de confort de l’élève pour le faire progresser, tout en maintenant sa motivation au top. 

L’étayage apporté à l’élève doit être suivi d’un moment cognitif individuel, rendu précisément possible par un cet étayage efficace. Petit à petit, cette “petite voix” que nous représentons et qui guide l’élève va s’intérioriser. Et c’est là la voie de l’autonomisation et du “désétayage” progressif. Trouver cette zone dans laquelle on doit proposer des situations pour qu’il y ait apprentissage est tout l’objet du travail de l’enseignant·e. C’est la base de la pédagogie différenciée en somme.

Un ajustement nécessaire des conditions de réalisation de la tâche 

Tout le savoir-faire de l’enseignant·e repose sur cette capacité à adapter son geste professionnel à un ou une élève en particulier, à un moment donné. Néanmoins, un étayage efficace et réussi repose plus ou moins explicitement ou consciemment sur des étapes et des gestes professionnels bien définis par Bruner, qui les a regroupés sous le terme de “fonctions”. Ce sont en fait des étapes clés à franchir, des paliers pour mener l’élève vers la réalisation de la tâche tout en le ou la plaçant à coup sûr dans une situation d’apprentissage. Bruner en compte six : 

  • L’enrôlement : c’est la phase de l’adhésion, de l’engagement, de l’intérêt de l’élève qui doit trouver la motivation pour s’atteler à la tâche proposée.
  • La réduction des degrés de liberté : phase de simplification de la tâche qui peut être décomposée en sous-tâches afin d’éviter une surcharge cognitive à l’élève.
  • Le maintien de l’orientation pour que l’élève reste centré·e sur l’objectif à atteindre et ne s’en éloigne pas. L’entrain et la sympathie sont ici cruciaux.
  • La signalisation des caractéristiques déterminantes : faire comprendre à l’élève l’écart entre ce qu’il ou elle a produit et la réponse attendue.
  • Le contrôle de la frustration pour éviter que le sentiment d’échec envahisse l’élève et entrave son envie de poursuivre.
  • La démonstration qui va au-delà de la résolution de la tâche en présence de l’élève. C’est une sorte de présentation d’un modèle possible pour accomplir la tâche. 


Ce modèle théorique repose idéalement dans notre esprit sur une relation duelle professeur·e / élève. Or, me direz-vous, comment faire dans des classes surchargées et avec des programmes à respecter et à boucler ? Évidemment, il est plus simple de poser des gestes professionnels efficaces en termes d’étayage dans une classe à petit effectif, et de surcroît à l’écoute. Néanmoins, il est possible de faire progresser chacun et chacune dans d’autres contextes que celui théorisé dans un modèle. Explorons ensemble quelques pistes.

De la pédagogie universelle à la différenciation pédagogique, ou vice versa 

Deux postures apparemment contradictoires peuvent permettre à l’enseignant·e de trouver quelques éléments à cette quadrature du cercle lorsqu’il s’agit de faire avancer un groupe tout en s’adaptant aux besoins de chacun et chacune : la pédagogie universelle (ou accessibilité pédagogique) d’une part, et la différenciation pédagogique de l’autre.

L’accessibilité pédagogique : des gestes professionnels au service de tous et toutes

La pédagogie universelle, ou accessibilité pédagogique, repose sur un principe simple : mettre en place des gestes professionnels, des attitudes, des rituels qui ne servent peut-être qu’à certain·es élèves, mais qui ne nuisent à aucun·e. Parmi ces gestes, je reste persuadée que bon nombre servent à une grande majorité d’élèves et souvent bien plus qu’on ne le croit de prime abord. De quels gestes ou rituels parle-t-on là ?

En matière d’étayage, on utilise tous et toutes sans en avoir conscience des gestes qui vont pointer les mots importants d’une consigne ou les mots-clés pour résoudre une tâche. Cette action si simple constitue en soi un étayage pour l’élève qui ne saurait, seul·e, discriminer entre l’accessoire et l’essentiel d’une consigne. Les gestes peuvent aussi illustrer un propos, ou encore rythmer une activité, en tapant dans ses mains par exemple pour scinder les étapes de réalisation de la tâche. Représenter le temps imparti à la réalisation de la tâche par un timer visuel projeté au tableau constitue aussi un exemple de geste utile à l’élève qui a du mal à planifier sa tâche et à gérer son temps.

D’autres adaptations, habituellement destinées aux élèves “DYS”, peuvent également être utilisées au quotidien : adapter une police de caractère sans empattement, éviter d’avoir à tourner la feuille pour trouver les réponses aux questions posées, éviter de donner des consignes pendant que les élèves sont occupé·es à écrire, donner un temps suffisant après avoir posé une question pour laisser à chacun et chacune le temps de réfléchir, ne pas couper la parole. Ce sont autant d’actions développées par l’enseignant·e à même d’étayer l’apprentissage en donnant à l’élève confiance en lui ou elle, et en lui donnant les moyens de progresser.

De façon générale, les élèves seront dans des conditions favorables à l’apprentissage si l’enseignant·e les guide en adoptant une mise en page et une organisation pédagogique les plus ritualisées et les plus claires possible. En prenant à sa charge une partie de la réalisation de la tâche, l’enseignant·e allège ainsi le travail demandé à l’élève. Ces adaptations ont l’immense avantage de ne nécessiter aucune préparation supplémentaire en amont. Ce sont juste des habitudes vertueuses à prendre. Pour certains élèves à Besoins éducatifs particuliers (BEP), ces mesures peuvent ne pas suffire, ou en tout cas, pas à chaque étape d’une séquence. Il convient alors de réfléchir à des mesures plus individualisées.

Et pour certain·es, une indispensable différenciation pédagogique

La différenciation pédagogique : elle nous fait peur, soyons honnêtes ! On visualise à l’avance les heures de préparation, les difficultés à organiser l’espace de la classe, les réactions des élèves qui réalisent qu’ils ou elles ont un travail différent des autres. Il y a beaucoup de raisons d’appréhender la mise en œuvre de cet outil, dont on sait pourtant au fond de nous à quel point il est indispensable à certain·es élèves, sous peine de les laisser de côté et de les perdre totalement.

La différenciation pédagogique, de façon individualisée ou en regroupant certains élèves ayant les mêmes besoins, passe par l’adaptation : 

  •  Des supports : agrandis, photocopiés en recto seulement voire enregistrés pour un·e élève petit lecteur ou petite lectrice ; 
  • Des consignes liées à la réalisation de la tâche : l’élève doit-il ou elle répondre en cochant des cases, en reliant des éléments, en écrivant une phrase courte ou une réponse rédigée ? Peut-il ou elle enregistrer ses réponses sur un dictaphone ? 
  • Des conditions matérielles de réalisation : du matériel pédagogique adapté est-il prévu (ordinateur, logiciels d’oralisation) ?  Du temps supplémentaire est-il prévu, y compris pour permettre à l’élève un temps de pause ? Une aide humaine (AESH) est-elle en place pour lire et/ou écrire à la place de l’élève ?


D’où l’importance capitale de bien anticiper sur ses préparations et d’être au clair sur les objectifs pédagogiques assignés à chaque séance : l’étayage individuel ou collectif porte-t-il sur LA compétence ciblée dans votre séance du jour, ou bien sur les compétences annexes et transversales, telles que la lecture et la compréhension des consignes ou encore le repérage dans l’espace ? Un·e enseignant·e ainsi au clair sur ses objectifs saura être clair auprès des élèves sur ce qu’il ou elle attend d’elles et eux.

Chacun·e à son rythme, mais tous et toutes ensemble

Cette articulation entre étayage collectif et différenciation pédagogique permet de faire avancer le groupe-classe au fil de l’année sur le déroulement prévu du programme sans pour autant attendre le même niveau d’acquisition de chacun. L’acquisition du socle commun de connaissances, de compétences et de culture est ainsi possible pour chacun et chacune, selon son propre rythme et sans compromettre l’avancée du groupe. Une bonne nouvelle, non ?

Audrey Caltanella Enseignante spécialisée SEGPA, EREA, ULIS...parce qu'il n'y a pas de hasard.

Mieux préparer son cours pour anticiper les difficultés

Cette fiche outil vous permettra d’identifier les moments cruciaux d’une séance et les questions à se poser pour éviter de créer des malentendus.

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