Les séries ne sont pas des livres d’histoire et aucun scénariste n’a jamais eu la prétention de remplacer un professeur d’histoire ! Il ne faut donc pas attendre de ces productions culturelles ce qu’elles ne sont pas. 

Il n’en demeure pas moins que les séries historiques peuvent, dans certaines circonstances, être mobilisées comme des ressources pédagogiques intéressantes. En mettant en scène à l’écran les préoccupations, les accomplissements et les émotions des sociétés passées, elles dépoussièrent la discipline historique et nous invitent à porter notre regard vers des ancêtres qui ne sont finalement pas si éloignés qu’on le pense parfois. Dans cet article, je vous propose quelques conseils pour utiliser facilement des séries dans vos cours. 

Les séries nous renvoient sans cesse à l'histoire en tant que discipline, car elles excitent notre curiosité en proposant des péripéties incroyables, qui nous conduisent irrémédiablement à nous demander quelle est la part de fiction et de réalité dans chaque intrigue proposée. 

Les séries historiques permettent de transmettre des repères chronologiques, de faire connaître certains acteurs historiques, mais aussi de mieux comprendre le contexte particulier d’une époque. 

C’est notamment le cas des quatre premières saisons de la série The Crown dont chaque épisode est construit autour d’un événement précis de l’histoire contemporaine britannique ou mondiale. Ainsi, le premier épisode de la saison 2 s’inscrit dans le cadre de la crise du canal de Suez de 1956. L’épisode 6 de la saison 3 permet de mieux comprendre les relations complexes entre l’Angleterre et les autres nations constitutives du Royaume-Uni : L’Écosse, l’Irlande du Nord et le pays de Galles. 

En classe, vous pouvez demander aux élèves d’associer les personnages fictifs d’une série avec les acteurs historiques qui ont pu les inspirer. Je propose notamment cette activité  avec les personnages de Game of Thrones qui ont systématiquement des points communs avec des acteurs de l’histoire britannique. Par exemple, Robb Stark présente de nombreuses similitudes avec le parcours d’Edouard IV d’Angleterre. 

Si les séries ont autant de succès, c’est parce qu’elles nous racontent tout simplement de belles histoires qui mobilisent une méthode de communication bien connue : le storytelling. Bien que ce champ disciplinaire soit encore très peu développé en France, il présente des pistes intéressantes dans le domaine de l’éducation. Des psychologues, pédagogues et philosophes tels que Jean Piaget, Lev Vygotsky, Jerome Bruner, Paul Ricoeur et Philippe Meirieu ont en effet montré dans divers travaux que le récit fait partie des fondamentaux structurant de l’enseignement et de l’apprentissage. Il permet de mettre de l’ordre dans les faits, de structurer les connaissances pour leur donner du sens, mais aussi de poser progressivement des jalons qui permettent à l’apprenant d’avancer par étape dans sa découverte et sa compréhension du monde. 

La plupart des scénarios des séries ne font rien d’autre que de reprendre cette stratégie pour accompagner le spectateur dans la découverte d’un personnage ou d’une époque, lui permettant ainsi de mieux comprendre les choix d’un acteur historique et le développement d’une intrigue. D’ailleurs, c’est l’un des principaux atouts des séries par rapport au cinéma que de prendre le temps de poser le contexte et de développer la psychologie des personnages pour rendre plus crédible ensuite l’évolution du récit et les choix narratifs. 

Cette stratégie résonne encore une fois fortement avec la méthode historienne dont l’un des objectifs consiste à comprendre le passé en essayant de déterminer les causes multiples à l’origine des événements historiques.  Cela est particulièrement intéressant à étudier dans la série Peaky Blinders, qui  raconte l’histoire d’une famille de gitans qui n’hésite pas à utiliser la violence pour s’enrichir et s’octroyer toujours plus de pouvoir dans l’Angleterre et l’Europe de l’entre-deux-guerres. De prime abord, on pourrait se contenter de voir dans cette série une histoire traditionnelle de gangsters à la Martin Scorsese. En deuxième lecture, on découvre finalement une réflexion profonde sur le rôle de la violence durant la Première Guerre mondiale dans l’émergence d’une brutalisation des sociétés européennes et le développement des idéologies autoritaires.  

Contrairement aux caricatures qui circulent parfois, l’enseignement de l’histoire ne se limite pas à l’accumulation de repères chronologiques que les élèves devraient apprendre par cœur. Les enseignants ont chaque jour pour ambition de faire réfléchir les élèves, de leur donner les outils intellectuels leur permettant d’exercer leur esprit critique, mais aussi d’appréhender une pensée complexe. Or, cette finalité civique et culturelle peut être soutenue par les séries historiques. 

Toutes n’ont pas cette ambition. Ainsi, l’excellente série Mixte raconte l’intégration pour la première fois de jeunes filles dans un lycée jusqu’alors exclusivement réservé aux garçons. Le scénario est intéressant et représente assez bien le contexte de l’époque, sans pour autant avoir d’autre ambition que de proposer au format sériel l’équivalent des films en costumes. À l’inverse, des séries telles que Chernobyl, The Crown et La Révolution proposent de mettre en image des thèses historiographiques passionnantes qui sont parfois très complexes à enseigner. 

The Crown constitue par exemple une illustration très intéressante des travaux sur la théologie politique médiévale des deux corps du roi de l’historien Ernst Kantorowicz. Pendant des siècles, l’expression “Le roi est mort ; vive le roi” déclamée lors de la disparition d’un souverain avait pour objectif de rappeler que seule l’enveloppe charnelle d’un monarque s'éteignait, mais que la monarchie lui survivait. Tout au long de la série, le spectateur est confronté au dilemme de la reine Elizabeth II qui est déchirée entre son corps de femme qui aimerait consacrer davantage de temps et d’attention à sa famille et les impératifs de sa fonction qui l’obligent souvent à délaisser ses proches, voire à blesser sa sœur Margaret. 

La série La Révolution propose quant à elle de réécrire l’histoire de la Révolution française avec une plume trempée dans l’hémoglobine de la culture zombie. Cela pourrait paraître saugrenu, voire sacrilège, mais cette idée permet en fait d’introduire d’intéressantes théories sur les stratégies déployées pendant des siècles par l’aristocratie pour justifier sa supériorité sociale non pas seulement par l’argent, ni même la culture ou le pouvoir, mais par le sang qui coule dans ses veines et qui transporterait une substance vertueuse réservée aux nobles. 

En classe, il est possible de partir d’un court extrait d’une série, voire simplement d’une capture d’écran, pour proposer aux élèves une activité stimulante sous la forme d’un “atelier de l’historien”. Leur mission consiste alors à enquêter sur la validité historique d’une scène en mobilisant des sources et des références bibliographiques. Parmi les exemples expérimentés en classe, on peut citer : 

• Le Mur dans Game of Thrones est-il la représentation de frontières ayant existé ? (idéal dans le thème consacré aux frontières en HGGSP).
• Est-il possible qu’Ivar et Alfred (Vikings) aient joué ensemble aux échecs ? (proposé dans le cadre du chapitre sur la Méditerranée médiévale en histoire).
• Oswald Mosley a-t-il réellement menacé la démocratie britannique durant l’entre-deux-guerres comme le prétend la série Peaky Blinders ? (mobilisé dans le cadre du chapitre sur les régimes totalitaires en histoire).

Mickaël Bertrand

Professeur d’histoire-géographie-EMC en lycée et en milieu carcéral depuis 10 ans, également  formateur et auteur de ressources pédagogiques