Nous y voilà. Ce fameux paquet que l’on a laissé trainer durant des jours sur le côté du bureau, rapidement enseveli par le tout venant, histoire d’oublier que... Oublier qu’il allait falloir recourir à toutes nos aptitudes pour en venir à bout. Et ainsi invoquer des métiers qui se situent au-delà de la sphère éducative, pour nous aider à corriger tout ça.

Indiana Jones en perdrait son chapeau et probablement sa santé mentale. Nous avons souvent beaucoup de mal à décrypter ces langues inconnues basées sur une suite de caractères cunéiformes et quasi monoconsonantiques. Sorte d’agrégats conjonctifs ou le passé, présent et futur se rencontrent et ne font qu’un. Ou la syntaxe et la ponctuation, souvent absentes, nous donnent le vertige de ces alpinistes de l’extrême franchissant les massifs les plus hauts en Stan Smith.

Douleurs diverses donc. De ces passés simples pas si simples. De ces mots qu’on écorche comme un Martyr sous Ponce Pilate. De ce borborygme lexical qui fait passer l’écriture de votre orthoptiste pour du lettrage d’Adibou’chou. 
Traduire donc.
Se fier à son instinct.
Chercher la langue française dans les plus sombres cavernes. 
Et soudain, tel Indiana découvrant le Graal, comprendre qu’Enzo avait écrit le mot particule. Et pas testicule.

Avant, c'était si simple : notre flair de fin limier remarquait bien que cette tournure de phrase, cette analyse littéraire, était bien trop fine, bien trop développée, bien trop lexicalisée pour notre ami Lucas M. qui croit que le verbe gésir est quand un « mec prend son pied » comme dans « Waa j’ai gési de ouf ». 

Il suffisait donc de taper sa prose dans notre moteur de recherche pour comprendre qu’il s’agissait de l'essai d’un étudiant de 1997 pour une thèse sur le déploiement des forces alliées dans les récifs corailleur sur la côte Atlantique. Et voilà qu’aujourd’hui, ça ne suffit plus. Car l’intelligence artificielle nous met des bâtons dans les feutres rouges. Impossible à recouper. 

Obligé donc de déployer toute notre science de déduction pour coincer notre fraudeur, à coups de questions précises sur ce qu’il entend par « force logistique accrue au sein des divers commandements et la pose des asperges par le fielleux ennemi ». Réponse de l'intéressé : « Bah asperge mes darons en mangent, je crois, c’est vert et après tu pisses, ça pue ». Voilà Lucas.

Car des copies sont souvent abyssales par leur absence de contenu. Comme si, une fois un point donné pour la bonne écriture du nom et du prénom, vous voilà projeté dans le vide intersidéral de la pensée. Cherchant ici et là des bribes de réponse à vos questions. Un embryon d’analyse.

Que nenni ! Ayant affaire ici à une copie digne d’un spécimen protozoaire, vous aurez beau chercher, vous ne trouverez rien. Et devant une note si basse qu’on sent presque le souffle glaciaire, vous aurez par contre en retour une armada d’excuses qui expliquera ce néant évaluatif : « J’ai pas eu le temps, vous nous donnez trop de trucs ! », « Pourtant j’avais bien révisé là, je comprends pas… » ou encore le célèbre « On pourra se rattraper ? ». 
Quand on chute d’un sequoia, on cherche toujours une branche.

38 copies sur le réchauffement climatique et ses conséquences. Et cette impression - qui hélas n’est pas fugace et revient tel un mal au cœur durant l’ascension d’un col dans les Alpes, que tout se ressemble vaguement. Ce tremblement de terre à Lambesc en 1909 est-il si connu que vous le trouvez dans la moitié des copies ?

Commence donc un travail de recoupe et de géolocalisation ardue. Qui était à côté de qui ? Quel est le cerveau ? Le patient zéro de la diffusion massive de réponses pandémiques. Qui ? Qui a le regard biaiseux ? Qui veut donc vous biaiser en pensant que vous n’avez la mémoire que d'un vulgaire Cyprinidé ?

Dans les deux cas, vous devez parfois garder votre langue à l’intérieur de votre bouche devant des copies où les pensées les plus intimes de vos élèves s’étalent. Comme si le devoir de français ou de SVT devait absolument être le théâtre de confessions diverses et variées. Ou plus grave encore, des dérives sur des côtés sombres de l’individu que vous ne souhaitiez pas vraiment connaître : idées politiques, religieuses, discrimination avérée et revendiquée au détour d’une réponse sur les pratiques alimentaires. 

Un commentaire dans la marge ne suffira peut-être pas et il vous faudra expliquer à Clara qu’il est plus compliqué « de bouger son corps quand on est obèse, mange moins de chips aussi non ? » ou à Enzo que « Perso moi les gays j’aime pas du tout mais bon faut respecter. ». Et là vous vous direz que finalement, un QCM aurait été plus rapide.

Monsieur Z.

Prof de Lycée Pro quelque part en France, dont l'humour sévit sur Facebook et sur Instagram.