Diagnostiquer les besoins en compétences psychosociales n’est ni une évaluation formelle ni une prescription médicale. C’est un acte pédagogique essentiel, qui vise à mieux comprendre les élèves pour mieux les accompagner. 

En tant que prof des écoles, prendre ce temps d’analyse permet non seulement de prévenir les difficultés, mais aussi de construire un climat de classe plus harmonieux et propice à l’épanouissement de chaque élève.

Avant de répondre à cette question, pour rappel… Les compétences psychosociales sont définies par Eduscol comme :

"les aptitudes qu’une personne mobilise pour faire face aux exigences de la vie quotidienne et prendre part opportunément à la vie sociale".

Elles comprennent :

• les compétences cognitives : tous les faisceaux de compétences qui nous permettent de résoudre des problèmes, d’évaluer une situation, de prendre des décisions ;
• les compétences émotionnelles : la capacité à reconnaître une émotion sans y réagir immédiatement, à lui donner du sens et à ne pas lui laisser dicter la conduite à adopter ;
• les compétences sociales : écouter, adopter un mode de communication adéquat, attendre son tour, observer les règles de politesse… Tout ce qui nous permet de vivre en société plus ou moins harmonieusement.

Les CPS sont intimement liées au climat de classe. Des élèves capables d'exprimer leurs émotions de manière appropriée, de coopérer, d'écouter les autres ou encore de gérer les conflits contribuent à créer un environnement plus serein, propice aux apprentissages. 

Sont notamment concernés les comportements de groupes, où les élèves peuvent se montrer ironiques, moqueurs ou carrément violents parce qu’ils répondent à une exigence de s’intégrer à un groupe. 

Un travail sur la prise de recul face aux stimuli extérieurs et un travail de régulation des émotions peut permettre aux enfants de prendre le recul nécessaire pour juger des dommages qu’un de ces comportements peut avoir sur l’un de leurs camarades.

Les CPS influencent directement la capacité des élèves à apprendre : concentration, persévérance, gestion du stress, confiance en soi... Autant de facteurs essentiels pour s'engager dans les apprentissages.

Pourquoi ? Les jeunes enfants ont peu de connaissance du fonctionnement cognitif. Sans l’aide de l’adulte, ils peuvent facilement croire que leurs erreurs et échecs sont dûes à un manque de capacité de leur part : “je ne suis pas assez intelligent, ce n’est pas mon truc, je ne sais pas dessiner/marquer un panier/résoudre une opération/ conjuguer un verbe”, etc.

En travaillant de manière explicite sur les CPS (concentration, persévérance, gestion du stress, confiance en soi), on favorise l’idée qu’il s’agit simplement de compétences à étoffer et consolider, et non des facteurs innés et immuables.

En adoptant ce point de vue, on induit l’idée chez l’élève qu’une erreur ou un échec n’est pas le reflet d’un manquement intrinsèque, mais simplement d’une stratégie ou d’une procédure à corriger.

Cette conception malléable et dynamique de l’intelligence favorisée par le travail des CPS a fait ses preuves auprès de nombreux enfants, comme le montrent notamment les travaux de recherche de Carine Souchal et Marie-Christine Toczek, de l’Université Blaise Pascal.

Un diagnostic précoce des besoins en CPS permet d’intervenir avant que les difficultés ne s’installent (isolement, anxiété, violence, décrochage, etc.). Il constitue un puissant levier de prévention.

Dans un contexte de classe, où les classes sont denses, les intéractions à la fois nombreuses et très codifiées, il peut être très difficile de différencier un tempérament discret d’un enfant qui souffre d’isolement ou d’anxiété. 

En créant des espaces d’expression, des codes d’intéractions inhabituels, l’adulte peut se saisir plus précisément de la difficulté et aider l’enfant ou alerter les personnes compétentes le cas échéant.

Comprendre les besoins spécifiques d’un groupe classe permet de cibler les actions pédagogiques et éducatives. Par exemple, si la régulation émotionnelle est un besoin commun identifié, des activités spécifiques peuvent être intégrées à la vie de classe.

L’avantage du travail des CPS est son aspect transversal :

• la prise de décision peut être travaillée autant en résolution de problèmes qu’en EPS ; 
• la régulation émotionnelle couvre l’ensemble des champs disciplinaires, des activités artistiques aux sciences, car elle intervient chaque fois qu’un défi cognitif se présente.

Un moment dans la semaine consacré spécifiquement aux CPS permettra de lier plusieurs apprentissages entre eux et donc de leur donner du sens.

L'observation informelle est un outil puissant :

• Quels comportements émergent lors des temps collectifs, de récréation, d’activités coopératives ?
• Quels signes montrent une difficulté à gérer les émotions, à coopérer ou à s’exprimer ?

Ces éléments peuvent vous guider dans une première analyse.

La difficulté vient ici de deux aspects : le grand nombre de situations d’intéractions et notre biais de confirmation. 

• Le premier aspect implique une organisation pour soutenir notre mémoire et éviter que les souvenirs ne s’empilent les uns sur les autres.
• Le second aspect découle du premier : sans système pour soutenir notre mémoire, nous aurons tendance à nous attacher à une caractéristique chez un élève et à la voir se répéter quotidiennement.

Comment y remédier ? 

• Restreindre le champ des observations et noter, pour pouvoir y revenir sur une longue plage de temps et constater les progrès, même minimes.

• Dans un classeur ou un document numérique, choisir une CPS et une fois par jour, noter les évènements marquants par enfant. Par exemple, en choisissant la compétence “coopérer”, à la fin de la journée, se remémorer un moment qui a demandé de la coopération aux élèves et noter les intéractions qui ont fait preuve ou non de coopération et comment.

• Ce recueil, quoique partiel, donnera une base d’information nécessaire pour la séance consacrée aux CPS. La phrase “J'ai remarqué que vous aviez des difficultés à coopérer”, sonnera toujours plus floue qu’une observation plus précise, fondée sur une expérience récente pour les enfants.

Des outils existent pour guider l’observation des CPS. 

La grille SEBE (Socle évaluatif des besoins éducatifs en CPS) peut servir lors de séances où les intéractions entre élèves sont nombreuses et ou intenses, comme en EMC ou en EPS par exemple.

Elle peut soutenir la prise de notes évoquée précédemment et peut également être proposé aux élèves en guise d’auto-évaluation de leurs CPS, afin de les rendre acteurs de leur évolution.

La voici (à télécharger en PDF ici) : 

On peut aussi utiliser une grille d'observation, à télécharger ci-dessous : 

Mettre en place des temps de parole réguliers (conseils de classe, cercles de parole, météo des émotions) permet aux élèves d’exprimer leurs besoins et ressentis, vous donnant des indications précieuses.

C’est l’écueil tendu par le travail autour des CPS : si l’adulte se pose en observateur omniscient, il prive l’enfant de développer ses propres repères.

“Est-ce que j’ai réagi comme je l’aurais souhaité ? Qu’est-ce que j’aurais pu faire différemment ?” sont des questions essentielles auxquelles il est bon que l’enfant réponde seul, au moins dans un premier temps, pour mobiliser et consolider ses CPS.

Plusieurs outils sont envisageables pour favoriser cet accès à leurs ressources : 

• La fiche d’auto-réflexion, distribuée à froid, après une situation de conflit par exemple, ou de frustration.

• Le cercle Samoan : on revient en classe entière sur une situation problématique, en proposant à 6 élèves d’en débattre en cercle. Le reste de la classe forme un grand cercle autour d’eux et écoute activement. Puis on change de rôle afin que tous les enfants puissent prendre la parole. Le cercle de 6 élèves aide à réguler l’attention de ceux qui écoutent et évite trop dispersion et de frustration pour prendre la parole à 24.

• L’écoute active : Les élèves sont par binôme, assis face à face. L'enseignant.e propose une situation de débat et retourne un sablier de 2 à 5 minutes selon l’âge des élèves. Durant ce laps de temps, l’élève A s’exprime sans être interrompu. L’élève B l’écoute attentivement, puis lui répond pendant le même laps de temps.

Le regard croisé avec les collègues, les AESH, le Rased ou les parents peut enrichir l’évaluation des besoins en CPS. L’analyse collective de situations problématiques ou de besoins récurrents est souvent plus fine et plus juste.

On peut par exemple travailler à l’élaboration d’un outil commun sur la base d’une grille SEBE. Cet outil donnera, en complément de votre prise de note, une base de données très complète, plus à même d'individualiser la pédagogie autour des CPS.

Il est important de rappeler qu’un adulte, tout professionnel qu’il est, fait face à des défis au sujet de la maîtrise de ses propres CPS. Gardons à l’esprit que personne ne nous l’a enseigné auparavant !

Et l’enjeu ici n’est pas de présenter aux enfants le visage d’un adulte en maîtrise qui fait étalage de son savoir, mais plutôt celui d’un guide qui montre le chemin, tout en le parcourant avec eux.

Marion Renaudie, graphothérapeute et professeure des écoles pendant 10 ans