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Petite, je m'imaginais maîtresse dans l'école de mon enfance à écrire sur le tableau noir et à corriger des cahiers, assise derrière un grand bureau en bois.
J'ai de la chance, c'est une ambition qui est devenue réalité en 2010. Ambition semée d'embûches et légèrement différente de ce que moi, petite fille de 10 ans, je m'étais toujours imaginée. Je dois l'avouer, j'ai eu de la chance, j'ai obtenu le CRPE dès ma première tentative. Mes proches vous diront que ce n'est pas de la chance mais plutôt l'ardeur du travail, l'exigence et la force de caractère que je m'impose au quotidien qui m'ont fait réussir.
Après l'obtention du concours, notre formation (qui a radicalement évolué depuis) nous a permis d'observer des classes d'application durant 3 mois, puis d'être formés durant quelques semaines à l’IUFM, depuis devenu ESPE et enfin, d'être épaulés par des conseillers ou des maîtres formateurs lors de remplacements ponctuels les dernières semaines de l'année scolaire. Un vrai petit luxe !
Les difficultés ont donc réellement commencé lors ma vraie première rentrée de maîtresse titularisée. À la rentrée 2012, T1, j'ai donc obtenu un poste de brigade dans une petite école de campagne perdue dans la région bordelaise. Les première déceptions de ne pas avoir ma classe ont fait place à l’excitation de ma première rentrée. Ma vraie première année de maîtresse, la rencontre avec mes premiers élèves.
" Ah ben, tiens, j'ai un congé mat' à l'année où j'ai personne. Ça tombe bien que tu appelles ! "
A la pré-rentrée, j'arrive toute pimpante, avec mon petit cartable en cuir dans mon école de rattachement. "Salut, ah t'es la nouvelle brigade ? Bon t'inquiète, on va surement t'appeler dès ce matin, on ne risque pas trop de te voir dans les parages cette année. On manque cruellement de remplaçants dans le coin".
10h : pas d'appel. Midi : rien. On se sent inutile. On stresse. On file un coup de main aux collègues, jalouse de les voir s'activer à la préparation de leur classe. 14h : toujours rien. 16h30 : fin de la journée, veille de la rentrée scolaire. Téléphone en main, je me décide à appeler la secrétaire de circonscription. Je la veux moi ma première vraie rentrée !
"Ah, Julia ? Ah je t'avais complètement oubliée ! Ah ben tiens, j'ai un congé mat' à l'année où je n'ai pas de remplaçant. Ça tombe bien que tu appelles ! La titulaire s'appelle aussi Julia, c'est rigolo ça ! Allez hop je te mets sur le remplacement à l'année. Tu n'as qu'à appeler l'école, même s'il est tard, la directrice doit encore être dans les parages. Bonne rentrée à toi !"
Il est 17h15, on est la veille de la rentrée scolaire. Je me retrouve titulaire dans une école à 1h de chez moi. Une école réputée difficile. Quel niveau ? Aucune idée. Quel effectif ? Aucune idée. Je ressens encore l'émotion (enfin le stress) qui m'envahit à la seconde où la secrétaire m'a raccrochée au nez. Je suis jeune professeur, je suis peu formée, je n'ai jamais eu d'élèves, de collègues, de parents d'élèves et d'un seul coup, je me retrouve professeur des écoles à l'année, libre de mes choix.
Tu l'as voulu ta classe ? Eh ben faut y aller, ma cocotte. Vous imaginez la suite ? Oui, j'ai appelé l'école. Non, personne n'a décroché. Une collègue de mon école de rattachement avait heureusement eu écho que la collègue en congé maternité avait des grands. La première nuit la plus longue de ma carrière. Je n'ai pas dormi, j'ai passé des heures à imaginer, à stresser, à tenter de planifier cette première journée. Encore une fois, ma collègue sauveuse m'avait donné des documents, des activités "type" de rentrée à faire avec des grands.
" Tu vas y arriver, tu vas y arriver !"
Lundi 5 septembre 2012, 7h, déjà devant l'école, prête à en découdre (enfin pas tant que ça !). J'ai pu, quelques instants après, apprendre que des CM1-CM2 travailleraient à mes côtés. Un groupe très difficile, avec de sacrés énergumènes. "On a dû séparer des élèves difficiles. Bon, je te préviens, va falloir les tenir. Sois un dragon dès le début !". Voilà le premier conseil qui m'a été donné par ma fabuleuse directrice. J'ai passé la petite demi-heure qui me restait, avant le grand saut, à déblayer les cahiers, faire le tour de la classe, perdue. J'ai tourné en rond, à me répéter sans cesse " Tu vas y arriver, tu vas y arriver !". Toujours croire en soi. Mais à ce moment-là, mon rêve ressemblait plutôt à un cauchemar.
Je ne me souviens pas précisément de cette journée, je pense que cela doit surement signifier qu'elle n’a pas dû être aussi terrible que ça.
Noyée dans les préparations, mes collègues, ma bouée.
Cela a été une année très difficile, avec des élèves difficiles, qui m'ont testée toute l'année. Mais à aucun moment je n'ai imaginé baisser le bras. "Surtout ne craque pas devant eux, pleure ici avec nous mais jamais devant les élèves, ni les parents. » J'ai pleuré, de colère, de désespoir, mais toujours en salle des maîtres. Noyée dans les préparations, l'administratif, les reproches des parents d'être confrontés à une maîtresse novice. Oh oui j'ai pleuré, mais mes collègues ont été ma bouée. Ne gardez jamais vos faiblesses pour vous, livrez-vous, demandez de l'aide. Mes collègues m'ont épaulée, conseillée, consolée. Mes premiers mois ont été difficiles, mais petit à petit j'ai trouvé mon rythme, j'ai su dompter mes élèves.
Prendre du plaisir à enseigner, à partager avec ces "adorables monstres" comme je les surnommais. Le travail par projet a beaucoup joué sur la cohésion de la classe, sur la confiance donnée et rendue. De cette première année d'enseignement, je garde surtout l'image de mes collègues : sans cette équipe sur qui compter, je n'aurais jamais réussi à "survivre" à cette première année d'enseignement.
" Je vous avoue qu'au début, je ne croyais pas du tout en vous "
La fin de l'année est arrivée. Le stress de rencontrer mes premiers vrais élèves a fait place à la tristesse de les quitter. Nous construisons tellement ensemble, nous apprenons à les connaître, à les supporter. Nous semons des graines que jamais nous ne récolterons. Ils nous font grandir. Tous évoluent, eux mais surtout moi. À la fin de l'année, une mère d'élève est venue me voir avec un énorme bouquet de fleurs et un petit mot "Je vous avoue qu'au début de l'année, je ne vous croyais pas du tout capable d'y arriver. Mais j’admets que je me suis trompée. Vous êtes une maîtresse exceptionnelle. Merci".
J'ai bien sûr versé une larme, même deux (devant elle cette fois-ci). Oui j'avais survécu à ma première année de professeur. Je n'avais pas de bureau en bois et j'avais passé des heures à réfléchir à comment faire progresser ce petit groupe, un programme à l'opposé de mes rêves de petite fille de 10 ans, mais j'avais réussi. J'étais une maîtresse comblée.
Si vous lisez mon témoignage, on pourrait croire que cette année a été un enfer. Il pourrait même vous dissuadez de tenter l'aventure de l’enseignement. Mais, de ce début de carrière, je ne retiens que la cohésion et l'entraide de mes collègues, le bonheur d'avoir été face à ces élèves, la fierté d'avoir fait partie de leur scolarité.
Alors le seul et unique conseil que je pourrais vous donner est de foncer. Foncez ! Le chemin est semé d'embûches, mais la richesse de ce fabuleux métier l'emportera toujours.
Julia, alias maitresse de la forêt, que vous pouvez retrouver sur son blog, maitressedelaforet.fr
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