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La première semaine, les élèves étaient contents. Nous aussi, au moins un peu. La deuxième semaine, on s’organise : on commence à ranger nos placards, à nettoyer notre cuisine, nos sols, nos ventilations, les joints de la salle de bain, la cage du chien que l’on n’a pas encore. La troisième semaine, ça nous tombe dessus d’un seul coup : on s’ennuie, on ne sait pas quoi faire, on commence à voir apparaître du stress autour de nous (l'enseignant ne panique jamais, il s'adapte). On tourne en rond dans un appartement propre comme un sou neuf (ou au contraire qui a développé un écosystème bactériologique autonome et presque indépendant financièrement). Pour résumer, on débarque dans le moment décisif du confinement, qui va décider de notre survie mentale pour les jours ou semaines suivantes. Mais surtout, pour la sortie qu’il va bien falloir préparer.
Le psychologue Amaury Solignac a suivi pendant plus de 15 ans des personnes engagées dans des missions polaires, spatiales ou sous-marines. Certes, ces dernières ont décidé de s’engager pour des missions qui se déroulent dans des environnements extrêmes et nous, nous nous retrouvons malgré nous dans ce même système : le confinement. Si seule la volonté de confinement diffère, nos réactions face au stress, notre manière d’y faire face et notre attente par rapport au retour à notre « vie d’avant » sont pourtant identiques et identifiables.
D’abord, il faut distinguer deux termes que nous utilisons mal (comme le béton et le ciment) : le stress et le trauma. Si on les compare sportivement parlant (ah, la belle époque !), le stress est une foulure ou une déchirure musculaire alors que la fracture représente le trauma : plus grave, plus important, plus douloureux, dont la rémission est longue.
Amaury Solignac affirme que « nous sommes tous stressés actuellement. Ce stress naît essentiellement du fait que nous sommes exposés à une situation inconnue ou mal connue qui est vécue comme menaçante. On a l’impression que cette situation dépasse nos capacités. »
Bien sûr, cet aspect négatif du stress va venir créer chez nous beaucoup d’anxiété. Alors positivons, car on a tous un moyen de faire face à ce stress. Voyons ce que la recherche dit sur le stress : suis-je stressé.e parce que je suis confiné.e ou suis-je stressé.e parce que je stresse ?
Le stress peut se manifester sur plusieurs niveaux (Cazes, Rivolier, Taylor et McCormick, 1989) :
Il est important de noter que le stress est marqué par 3 phases durant lesquelles on s’adapte à lui (Les trois phases du syndrome général d’adaptation, Selye, 1936) :
Pour résumer : frustration => sidération => acceptation
On distingue deux types de stratégies pour faire face au stress (Lazarus et Folkman, 1984) centrées sur :
Ex : Je vais réviser mon code de la route et faire des exercices en ligne.
Il est intéressant également de parler de la communication et de la gestion du stress dans une équipe, notamment entre les équipes qui sont sur le terrain et celles qui contrôlent de plus loin/haut. Cette difficulté de compréhension est un classique, comme Houston et ses astronautes : pour les équipes sur place, c’est Houston qui ne comprend pas la situation plutôt que l’inverse. Psychologiquement, c’est une façon de gérer le stress pour les équipes opérationnelles : « Je dis ça sans chercher à savoir si Houston a raison ou pas. Mais se dire que Houston n’a rien compris peut servir à rejeter un peu d’agressivité à l’extérieur. »
« Les évolutions techniques ont des conséquences psychologiques : bizarrement, on est dans confinement physique très fort mais au niveau de l’information on est très exposé en permanence à plein de sources d’informations. La particularité de cette situation est que les évolutions technologiques ne nous font pas vivre une épidémie comme on l’aurait vécue il y a un siècle. On a un lien social qui passe par là aussi, bon ou mauvais, même les canaux sont différents. »
Quand on est stressé.e sur longues périodes, l’une des ressources importantes est l’intelligence émotionnelle (en complément de l’intelligence de performance), autrement dit reconnaître chez les autres une émotion et surtout la reconnaître chez nous-mêmes. Il faut des opportunités pour s’exprimer, pour reconnaître qu’on est stressé.e, des moments où on peut recevoir du soutien.
En tant qu’enseignant confiné, on veut montrer qu’on est présents, disponibles, qu’on donne du travail, qu’on passe des appels aux familles, aux parents. Le stress vient de cette situation totalement inconnue quant à l’organisation de notre pédagogique et de notre relation avec les élèves qu’il nous faut composer avec les moyens dont nous disposons, avec plus ou moins de succès. On réassure les élèves, les familles qui sont en tension également, qui se sentent démunies, qui ont peur de l’échec scolaire de leurs enfants. Il faut réassurer tout le monde, y compris les collègues et nous-mêmes. Chaque partie peut être fragilisée à un moment ou à un autre.
Concernant les devoirs et la quantité de travail importante selon certains parents, Amaury Solignac se demande si « on n’est pas en train d’apporter une réponse technique à une question émotionnelle : qu’est-ce qui se passe après ? Où est-ce qu’on va ? Où est ma classe ? Qu’est-ce qu’elle est devenue ? Comment vont les autres ? »
Nous nous retrouvons également dans une sorte d’opposition entre des buts opérationnels (continuité pédagogique) et des buts humains (continuité relationnelle). Au vue des ressources limitées (déplacements, connexions, plateformes etc.), ces deux buts se retrouvent en concurrence.
En plus du confinement, deux facteurs supplémentaires de stress sont à mentionner : l’isolement et la monotonie. « Cette dernière ne nous est pas tombée dessus mais elle ne va pas tarder. » (On se détend et on n'oublie pas qu'on a dit tout en haut de cet article qu'on avait tous un moyen de faire face au stress !)
Ayant travaillé avec des hivernants polaires, avec des astronautes et avec des sous-mariniers, Amaury Solignac considèrent les enseignants « comme des sous-mariniers parce que vous avez une responsabilité importante, une charge d’âmes en tant qu’enseignants ou en tant que cadres. Comme les sous-mariniers, vous êtes privés d’information, vous entendez beaucoup de choses mais vous avez du mal à l’émettre. Dans la situation telle qu’on la vit, il y a une communication qui est beaucoup plus descendante que ascendante. »
L’étude faite par Amaury Solignac sur le retour de mission a donné lieu à plusieurs modèles de sortie de situation de stress, quand les gens rentrent après de longues périodes confinés loin chez eux. Dans notre cas, la sortie de la période de confinement impliquera une reprise économique et une reprise scolaire. De cette étude ont émergé 4 profils lié à la métaphore aéronautique de l’atterrissage :
Ce profil correspond à des personnes jeunes et idéalistes qui se seraient bien adaptés à la situation de confinement. La sortie du confinement leur demanderait en retour une adaptation plus exigeante.
Quand les personnes ont une famille qui les rappellent à la réalité assez vite au retour : on n’a pas le temps de se poser des questions, d’avoir de la nostalgie ou de confronter son idéalisme à la réalité. On doit tout de suite aller faire courses et reprendre le boulot comme d’habitude.
« Vous vous êtes des chefs de mission [le public de l’intervention était composé de personnels de direction mais ce profil correspond également aux enseignants] et vous aurez sans doute un atterrissage long. C’est-à-dire que vous aurez sans doute beaucoup de demandes du côté personnel parce que les gens vous auront attendu, parce que vous aurez été très sollicité professionnellement parlant du fait de vos responsabilités. Il ne faut pas perdre de vue que c’est le moment où vous allez devoir vous retrouver vous-même avant de reprendre le cours de votre vie quotidienne. »
⇒ Ceux qui pour qui cela fonctionnera, ce sont ceux qui feront une pause.
Touch and go : atterrir et décoller tout de suite. Leur vie est ailleurs que dans la société habituelle.
Ce confinement nous sort tous de la société, on se retrouve tous à côté. Certaines situations étaient déjà difficiles et ont été aggravées par ce confinement involontaire - mais nécessaire. Pour les enfants, il y a aussi une forme d’inconnu qui est que leurs parents ne travaillent plus, ils ne savent pas très bien ce qu’il se passe si on ne leur explique pas la situation.
Chers collègues, comme le dit si bien Amaury Solignac,
« Vous n’êtes pas des soignants, mais vous faites partie des soutenants. Garder ça en tête quand on a un coup de mou, ça ne fait pas de mal au moral ! »
Nous pouvons bien entendu nous poser des questions sur notre identité professionnelle, liée sans doute à l’actualité qui a précédé cette période tendue.
Cependant nous sommes tous bouillonnants de nous projeter vers l’avenir, ce futur plein d’élèves qui nous crieront dans les oreilles, qui nous sortirons qu’on leur a manqué (état d’esprit qui s’effacera au lancement de votre première consigne post-confinement), qui prendront conscience ou non de cette période historique.
Nous faisons ce que nous pouvons avec ce que nous avons - c'est un peu notre devise professionnelle, non ? - et nous le continuerons, car nous sommes confinés mais heureusement pas sous les bombardiers.
Julia de l'équipe Êtreprof, avec l'aide précieuse de Marine Portex de l'équipe Manag'Educ
Article largement adapté et librement inspiré de l'intervention d'Amaury Solignac chez Manag'Educ
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