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4 idées clés pour repenser la place des programmes dans sa pratique

Pierre Lignée
22 mars 2022 11:13
5 mn

Finir ou ne pas finir les programmes, telle est la question ! Impression de ne pas en faire assez pour vos élèves en ce moment ? D’avoir à jongler entre les absences perlées et les baisses d’engagement ? Pas toujours facile d’abandonner l’idée de ne pas respecter le programme, avec tous les élèves. 
Mais faut-il pour autant faire le deuil d’un 100% de réussite ? Je vous propose de prendre un tout petit peu de recul pour mieux prendre le contrôle sur les attendus de fin de cycle.

Nous portons au quotidien des valeurs et des principes qui guident nos choix pédagogiques. Les habitudes de travail, les micro-choix qui en découlent, les ajustements au réel et aux élèves : tous nos gestes professionnels sont orientés par des cadres qui nous contraignent et guident notre progression. On en tire parfois une peur de ne pas finir les programmes.

En fin d’année, il nous arrive souvent de nous demander s’il n’aurait pas été possible de faire plus, de faire mieux. Imaginez une collègue qui vous demanderait où vous en êtes des programmes (parce qu’elle a « bien avancé », elle). Visualisez une famille qui viendrait vous rencontrer, programmes en main. Que répondre ? Et si, finalement, tout cela n’était qu’une illusion, ne reposant que sur ce qu’on croit que les autres pensent de nous ?

Idée clé 1 - Identifier nos valeurs éducatives pour faire émerger les tensions 

Prenons un peu d’altitude. Notre vision de la pédagogie est étroitement liée à la société dans laquelle nous enseignons. Face aux valeurs qui nous portent, qui peuvent relever de l’idéal, voire de l’utopie, c’est un seul principe de réalité qui nous gouverne : notre système scolaire est normatif et sélectionnant. De l’organisation en groupes de 30 élèves du même âge à la façon d’être orienté·e en lycée ou dans l’enseignement supérieur, tout est construit autour d’un paradoxe : nous sommes gouverné·es par une obligation de nous donner les moyens de faire progresser les élèves dans une société construite sur une obligation de résultats. C’est un cercle vicieux dans lequel tout le monde s’engage, et qui se renforce au fil des années d’une scolarité.

Voilà donc les premières questions que je vous pose. Dans quelle société souhaitons-nous enseigner ? Où pensez-vous vous situer sur ce continuum des valeurs éducatives ? Comment faire progresser chacun et chacune alors que les parcours scolaires sont construits par rapport à un groupe engagé dans une forme de compétition ?

Quelle valeur éducative portez-vous en classe ?

Société normative et sélectionnante

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Société inclusive

Je veux mettre en avant ce paradoxe : si la tension est forte dans nos pratiques professionnelles quotidiennes, c’est parce que le cadre institutionnel entre en conflit avec ce que l’on croit et ce que l’on pense de nous. D’un côté éducabilité et obligation de moyens, de l’autre obligation de résultats pour des générations d’élèves prototypé·es et normé·es. J’insiste parce que c’est un point essentiel, incontournable : les textes sur lesquels nous nous appuyons n’ont pas la même valeur.

Les circulaires, les notes de service, les documents d’accompagnement ne valent pas grand-chose au niveau légal. Un peu plus haut dans la hiérarchie des normes, parmi les arrêtés (signés par un ou une ministre), se situent les programmes d’enseignement. Encore plus haut arrive le socle commun de connaissances, de compétences et de culture, qui est un décret (signé par le ou la président·e de la République, son ou sa premier·e ministre). Et au-dessus se placent les articles du Code de l’éducation modifiés par une loi (par exemple celles de 2013 et 2019). 

C’est le cas du premier article du Code de l'éducation. Que dit-il de nous cet article L. 111-1 ? Il ne nous dit pas que les enseignant·es doivent finir un programme. Il ne nous dit pas non plus que nous avons la responsabilité de faire apprendre telle ou telle notion au même moment à 30 élèves. Non, il nous indique tout simplement que nous avons à faire « apprendre et progresser » nos élèves.

1, 2, 3… Action !

Notre institution attend que tous nos élèves apprennent et que la diversité de nos élèves progresse.

  1. Revendiquer la valeur éducative que je porte : plutôt normative ou inclusive ?
  2. Différencier la nature des textes officiels pour hiérarchiser les priorités éducatives.
  3. Faire progresser mes élèves.

 

Idée clé 2 - Repenser la place du programme : le terminer ou se donner des repères ? 

Allons un peu plus loin encore. Si notre mission est de « faire apprendre et progresser », cela veut dire qu’il faut que nous réglions le problème des programmes. Pourquoi, dans notre imaginaire collectif, les programmes sont-ils le Graal qu’il faudrait appliquer et terminer année après année ?

S’il y a bien une chose que les professionnel·les de l’éducation ont en commun, c’est l’intention de faire progresser les élèves : on veut les faire réussir. Alors voici un petit dilemme pour vous.
S’il fallait choisir, vous seriez plutôt :

  • personnellement fièr·e de finir votre programme ;
  • ou content·e de constater que tous vos élèves ont progressé ?

  

Quel principe gouverne votre pédagogie ?

Faire apprendre des 
connaissances à un groupe 
qui progresse d’une année sur l’autre


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Faire progresser tous les enfants à leur rythme

Je vous propose une lecture de notre problème sous deux angles. D’un côté, si notre institution attend que nous fassions progresser nos élèves, elle ne dit pas qu’il faut une progression homogène pour tout un groupe arbitrairement constitué. De l’autre, il faut distinguer programmation et progression : les programmes d’enseignement des quatre cycles de la scolarité obligatoire ne sont pas prescriptifs. Ils sont des repères proposés comme support pour organiser les progressions des élèves sur trois ans, appuyés sur les attendus du socle commun

Le travail de l’enseignant·e revient donc à utiliser le référentiel institutionnel pour s’assurer que ses élèves apprennent des connaissances dans un ordre pertinent, et progressent tout au long de leur scolarité, jusqu’à un socle commun minimal en fin de scolarité obligatoire.

Et s’il y a bien un mot sur lequel insister dans nos pratiques, c'est la progression. Par opposition à une programmation, qui serait inflexible et aurait déterminé à l’avance dates et horaires pour les apprentissages, la progression définit un ordre dans lequel les élèves vont être confronté·es aux savoirs nouveaux. C’est bien ce que nous faisons chaque année, non ?

1, 2, 3… Action !

Pas de panique ! En vous appuyant sur vos progressions, lesquelles sont appuyées sur les recommandations des programmes d’enseignement, vous pouvez en toute tranquillité faire apprendre et progresser vos élèves.

  1. Identifier le principe qui gouverne votre pédagogie : plutôt transmettre à un groupe ou soutenir les progrès individuels ?
  2. Utiliser les programmes comme repères de progressivité.
  3. Envisager une personnalisation des apprentissages.

 

Idée clé 3 - Valoriser votre expertise pédagogique

Certains ou certaines élèves avancent lentement, et alors ? N’oubliez pas que depuis 2015, on attend surtout qu’ils progressent par cycle de trois ans. Ce qui compte, c’est qu’on ait fait tout notre possible (obligation de moyens !) pour qu’un maximum de nos élèves aient atteint au moins ce socle commun : les attendus de fin de cycle 4.

Mais comment résoudre cette tension entre regard du supérieur hiérarchique, des collègues et des familles, et décalages des progressions de chaque élève ? Tout d’abord, notons que nous enseignons dans un cadre institutionnel et social construit sur trois niveaux : l’année scolaire, le cycle, et la scolarité obligatoire.

Je vous propose alors deux astuces pour régler une partie des tensions. Si le principe de l’année scolaire est bien ancré dans l’imaginaire collectif mais très contraignant, c’est en concevant une scolarité par cycle, avec vos collègues, que vous répondrez le plus finement aux instructions officielles. Par ailleurs, lorsque le décalage est grand entre un·e élève et la norme du développement scolaire, rappelez-vous que l’institution ne vous le reprochera pas, du moment qu’il ou elle progresse. 

On ne le répète pas assez : l’institution assume le décalage à une norme et vous permet de formuler des attentes raisonnables en termes de connaissances et de progrès. Non, vous n’avez pas à enseigner une même notion à l’ensemble des élèves de votre groupe, au même moment. Oui, vous devez faire en sorte que chacun apprenne et progresse. Pour faire cela concrètement, n’hésitez jamais à vous appuyer sur les points d’appui existants. 

Pourquoi ne pas s’inspirer par exemple de ce qui est pensé pour remédier aux situations de grande difficulté scolaire (réflexion d’équipe autour de l’élaboration d’un PPRE, puis soutien apporté par les dispositifs inclusifs RASED et SEGPA par exemple) ou pour prendre en compte les situations de handicap (principe de la Programmation Adaptée des Objectifs d’Apprentissage), lorsqu’un élève est très loin des autres ? Un élève a besoin d’apprendre à mieux lire mais est en CM2 : une PAOA vous permet d’envisager de le faire progresser tout au long de la semaine. 

Parce qu’en fixant des objectifs qui relèvent de chacun des élèves plutôt que d’une norme d’un groupe prototypé qui avancerait systématiquement au même rythme, vous vous permettez d’utiliser les programmes d’enseignement sans pression.

Notre mission est de faire apprendre et progresser, c’est-à-dire créer et mettre en œuvre des progressions cohérentes. Et si notre souhait est d’évoluer dans un environnement inclusif, où chaque geste permet de lutter contre la tentation de l’étiquetage, la normativité et l’élitisme, alors nous devons associer ceux qui ont besoin d’avancer avec nous.

1, 2, 3… Action !

La démarche d'apprendre et progresser repose autant sur nous que sur les familles et les élèves. Et il nous faut des outils pour cela.

  1. Identifier les outils institutionnels qui peuvent soutenir votre conception pédagogique (au lieu de la contraindre).
  2. En discuter entre collègues du même cycle.
  3. Impliquer élèves et familles dans le temps long du parcours scolaire pour tenter de se décoller de l’obligation de résultats immédiats induits par les rythmes de la période, du trimestre et de l’année scolaire.

 

Idée clé 4 - Positionner son expertise et son style pédagogique

Ici nos différents styles pédagogiques prennent toute leur valeur. Et plus ils auront une résonance auprès des élèves et de leur entourage, plus nous pourrons personnaliser les parcours scolaires jusqu’à réussir à faire apprendre et progresser la diversité des élèves sans nous sentir contraint·es par les programmes.

Quelle est ma posture professionnelle privilégiée ?

Contrôle

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Empowerment

Nous ne sommes pas seuls et seules dans l’aventure des programmes d’enseignement. Il y a les élèves aussi ! Engagé·es dans nos préparations pédagogiques, parfois on les oublie, et parfois on les sous-estime. Et si la clé de leur réussite venait de leur connaissance fine de ce qu’ils doivent apprendre ? C’est une proposition que je vous fais en deux couches.

Couche numéro une : plus les élèves savent ce qu’ils et elles ont à apprendre, plus ils et elles peuvent identifier les exercices qui leur permettent de progresser, et voir les étapes d’évaluation comme un étayage pour apprendre. L’évaluation devient positive !

Couche numéro deux : plus les élèves identifient ce qu’ils et elles sont capables de faire, ce qu’ils et elles sont en train d’apprendre et ce qu’il leur reste à acquérir, plus ils et elles portent sur eux ou elles-mêmes un regard bienveillant et engagé. Pour être motivé·es et disponibles pour apprendre, les élèves ont besoin de se voir progresser. Et nous aussi. Concrètement, comment s’enlever un peu de pression ?

Faire tout ce qui est en votre pouvoir (apprendre et progresser)

Penser progressivité, s’appuyer sur des progressions. Pas si facile de créer des progressions, même en l’ayant pensé en équipe de cycle ? Beaucoup d’associations, comme ÊtrePROF, proposent déjà les leurs - c’est déjà ça de gagné. Mais ensuite, comment associer progression et activités pédagogiques

Étager, mettre des niveaux de brevet, d’étoile ou de ceinture de compétences, c’est vous autoriser à renvoyer les élèves à ce référentiel pour qu’ils sachent eux-mêmes quel exercice choisir et quelles seront vos attentes lors du prochain test. L’avantage du Livret scolaire Unique numérique par ailleurs, c’est qu’il peut intégrer vos progressions. Il existe même des outils numériques comme Edumoov qui le facilitent.

 

Donner le pouvoir aux élèves (qui vous le rendront bien)

Vous l’avez compris, je vous encourage à investir le carnet de suivi des apprentissages au-delà de l’école maternelle. 
Pour mes élèves par exemple, j’ai créé deux types de documents. Un document de suivi des progrès (inspiré de nos cahiers de collections d’autocollants d’enfance), et un document indiquant les objectifs d’apprentissage de la période. Cela donne aux élèves une réelle visibilité sur ce que j’attends d’elles et eux. Je peux y prendre appui chaque fois que nécessaire pour justifier d’une activité, d’un besoin d'entraînement ou pour expliciter ce que j’attends d’un moment de contrôle des connaissances. Cela leur donne le pouvoir de choisir leur prochain objectif-obstacle, le pouvoir d’agir dans et sur leur scolarité.

 

 

Donner les clés aux familles

Aller vers les familles, communiquer largement, ouvrir les portes, fournir des informations et des documents, c’est s’assurer qu’il y aura très peu de remarques et remises en question. Qu’elle soit numérique ou analogique, votre communication devra être très régulière. Bien plus souvent que deux rendez-vous par an. Comment faire ? Mon conseil, c’est de détourner les devoirs.

D’un côté, les devoirs sont relativement interdits dans le premier degré. Et, en soi, c’est quasiment inutile de se remettre à travailler après six heures de classe. Ce qui est fondamentalement en jeu dans les devoirs, ce n’est pas l'entraînement supplémentaire (inutile voire contre-productif en fonction des conditions de réalisation), c’est la relation familles-enseignant·e autour d’un objet de savoir et des progrès de leur enfant.

Donnez-leur le pouvoir ! Plutôt que de donner telle lecture ou tel exercice, indiquez où en est leur enfant, dites-leur quel point a besoin d’être entraîné, quel chemin reste à parcourir jusqu’à la maîtrise de la compétence de fin de cycle. Donnez-leur la marche à suivre pour apprendre, et laissez-les choisir le support dans la banque d’exercices.

 

1, 2, 3… Action !

Vous serez, à coup sûr, un peu plus serein·e face à la pression des programmes. 

  1. Penser progressivité.
  2. Donner le pouvoir aux élèves.
  3. Donner les clés aux familles.


Maintenant, quand sera abordée la question des programmes en salle des profs, eh bien… vous pourrez dire que vous savez où chacun·e de vos élèves en est de sa progression dans les apprentissages. C’est bien là l’essentiel !

Des ressources pour aller plus loin

Pierre Lignée

Enseignant spécialisé et formateur depuis 2012
Rédacteur du Guide Pratique Aider les élèves présentant des troubles du comportement
Co-rédacteur du Guide Pratique Déconstruire les croyances erronées sur l'intelligence

 

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