Personnaliser vos contenus
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« Et si on se donnait rendez-vous dans 10 ans, même jour, même heure, même port ? »
Cette chanson que nous avons hélas tous fredonnée, nous la conjuguons parfaitement dans le travail d’enseignant dans ses scènes de la vie quotidienne. Ces samedis où, tâtant sobrement un concombre dans les allées d’un supermarché pourtant désert, vêtu d’un immonde jogging, on tombe sur un ancien élève qui va nous tenir le crachoir 10 minutes durant, nous faisant lâcher le durement trouvé concombre.
Infirmiers, vendeurs, avocats, enseignants pour les plus perfides, les lois de l’orientation sont impénétrables. Et Monsieur Z va de ce pas sortir des sentiers battus pédagogiques, et vous plonger, chers lectrices et lecteurs, dans 4 vrais parcours admirables d’anciens élèves, de la 15ème dimension de l’Éducation Nationale.
Il avait toujours le doigt levé. Souvent conspué par ses camarades pour son lèche-bottisme exacerbé, il ramenait trop souvent n’importe quel sujet à deux critères, les jeux vidéos et lui-même. Sorte de Super Mario égocentrique, on avait bien du mal à le sortir de sa passion et à le cadenasser afin qu’il ne parte pas n’importe où, n’importe comment. Pourtant il essayait de bien faire (toujours) : il était passionné et ça paraissait une bonne chose.
Chaque enseignant s’était alors donné la mission de le ramener à la réalité, les pieds vissés dans sa section « système numérique ». Qu’il obtienne d’abord son baccalauréat avant d’éventuellement devenir le nouveau maître du monde et brasser des dollars comme Manaudou brasse… tout court. La mission fut réussie et il disparut des radars en nous remerciant de l’avoir formé sans briser ses rêves de devenir célèbre. Ah oui merde, nous n’avions pas tout réussi.
Quelle ne fut donc pas notre surprise de le revoir revenir, quelques années plus tard, habillé bien plus sobrement qu’à l’accoutumée. Le visage des plus humbles, le sourire discret mais franc. Les raisons de sa venue ? « Parler aux jeunes générations de la réalisation de mon rêve ». Ah oui quand même.
Sauf que le gars a continué de faire vivre sa petite chaîne Youtube. La même chaîne qui était son excuse principale lors de ses crises de somnolence en classe. Mais que la chaîne a pris de l’ampleur. Et qu’une petite vidéo autour de son jeu vidéo préféré a été vue des millions de fois. Le propulsant au sommet des firmaments des grands amuseurs/analystes des jeux vidéo. Et au firmament. On gagne hyper bien sa vie. De quoi entretenir sainement son boulard. De quoi avoir son bulletin de salaire dans sa poche (qui fait ça ?!) et marcher comme un ministre.
Et dire que dans quelques années, c’est sans doute lui qui fera une vidéo avec le Président de la République. C’était peut être le moment de lui rappeler combien je trouvais ses réponses pertinentes…
« Si tu ne veux pas travailler, tu n’as qu’à sortir ! »
Le « si » n’étant souvent qu’une formule. Car Enzo était bien plus souvent à sa place dans les couloirs ou le bureau du CPE qu’en classe. Perturbateur, souvent absentéiste, toujours à la limite de la provocation. L’élève qu’on a tous eu en cours et dont on s’est demandé ce qu’il adviendrait de sa personne - déjà au trimestre prochain, tant il avait à réunir toute l’équipe contre lui.
Les seuls moments de paix qu’il pouvait octroyer à l’Éducation Nationale, c’est quand il griffonnait dans son carnet des phrases inintelligibles. Carnet orné de symboles divers que la décence me refuse de commenter, si ce n’est que nos amis des forces de l’ordre n’étaient sans doute pas l’objet de toute sa bienveillance. « Enzo, il finira au Comico ». Ritournelle du prof de SVT lors de l’intégralité des conseils de classe. Oui mais non.
Car quelques années plus tard, quand je travaillais sur les musiques urbaines et leurs liens avec l’écriture poétique avec mes 1ères MELEC, on me poussait à découvrir un des nouveaux prodiges de la scène du sud de la France, qui apparemment « défonçait grave sa mère ». J’espérais en cliquant que c’était là encore une expression métaphorique. Trêve de suspense, le clip qui se déroulait devant moi m’apprenait plusieurs choses sur la vie et le travail d’enseignant, en mode bastos dans le bide.
La première, c’est que si les élèves ne sont pas en classe, c’est pas uniquement car ils dorment mais car ils tournent des clips tout simplement. Je m’en voulais sincèrement d’avoir pensé qu’ils préféraient sécher mes cours pour jouer à la Play. Alors que oui, ils y jouaient, mais pour les besoins d’un court-métrage musical ! Il faudra que je dise au prof d’EPS que, pour cabrer aussi bien en scooter, c’est sans qu’ils ont bossé l’équilibre avec lui.
La deuxième, c’est que le carnet que j’avais eu sous les yeux maintes fois n’étaient que l’ébauche d’un univers musical assez coloré, bien que peu mainstream. Alors oui je retrouvais des erreurs de syntaxe et un vocabulaire pas toujours développé, bien que le champ lexical de la copulation soit assez riche. Mais il y avait de la gestuelle, il y avait de la mise en scène, il y avait de la passion. Et un fil conducteur assez soutenu sur ses difficultés d'appréciation des forces de l’ordre. Toujours. Un leitmotiv chez Enzo. Un bon gars. Avec une banane remplie de biftons.
Quand on avait Emma dans sa classe, on devait sans doute avoir une prime ISOE (Indemnité de Suivi et d’Orientation des Élèves).
D’une part car il était rare de ne pas avoir à gérer une altercation entre elle et une camarade sur des motifs impérieux de mascara ou de vernis à ongles mal rebouché. D’autre part car on devait faire attention à ne pas avoir plus d’élèves que sur la feuille d’appel. Les garçons d’autres sections tentant par tous les moyens de passer du temps avec elle. Pour des raisons bien plus nobles que se taper votre séquence sur les zones périurbaines.
Oui Emma n’avait que 15 ans, mais elle n’était définitivement plus une enfant. Elle avait cet art de minauder quasi permanent et un art bien à elle de se vêtir, comme si nous devions à tout moment sortir de l'établissement pour aller à un cocktail. La légende disait même qu’une fois en battant des paupières, elle avait fait s’envoler une feuille sur le bureau adjacent au sien sans bouger le petit doigt manucuré.
Alors forcément, personne ne fut surpris quand un soir lambda de déchéance télévisuelle (qui regarde Arte après 8 heures de cours ? Ne mentez pas !), je la découvris au sein d’une émission de dating de la sixième chaîne hertzienne. Je retrouvais dix ans plus tard une Emma toujours aussi pomponnée et toujours aussi sûre d’elle, faisant valser les hommes avec une légèreté déconcertante.
Jamais le mot influenceuse ne m’avait semblé si opportun et adapté à son talent de persuasion. Quand j'ai appris son nombre de followers (c’est comme les diplômes aujourd’hui, plus on en a et mieux c’est), je me dis que finalement, mes mises en situation de recherche de stage n’avaient pas été inutiles et que j’étais un peu responsable de son succès.
On s’est tous dit un jour « quel sacré comédien ! »
Un élève qui savait convaincre et qui brillait lors des cours de théâtre entre midi et deux. Et puis il y avait Idir. Idir, en classe, dormait le plus souvent. Il avait en quasi tatoo permanent la marque de son survèt sur son visage tant il s’endormait en classe sur sa fermeture éclair. Et puis, disons-le clairement, dans le phrasé et la syntaxe, ça n’allait pas. Il était bien possible que dans son esprit, il y avait un semblant d’exactitude grammaticale.
Mais entre l’esprit et la sortie, il devait se passer une sorte de collusion. Largement accentué par la dose de THC qui émanait de la personne. Tellement que le prof de chimie se demandait s’il ne sécrétait pas lui-même. Impossible donc de le confronter à Francis Huster, même après un AVC. Et pourtant. Et pourtant.
Le voilà propulsé dans le monde du septième art, alternant les seconds rôles (pour le moment !) de flic ou de voyou. Alors oui, les rôles restent de composition. Ou pas. Mais le phrasé s’est largement amélioré et, quand on parle de lui, c’est désormais pour son « interprétation à vif, exaltée, brute ». Wahou.
Du coup chaque année je pressens des futurs De Niro dans mes classes. De futures montées de Cannes. Derrière chaque survèt qui dort, il y a peut-être un acteur qui s’éveille.
Voilà donc 4 témoignages qui font réfléchir et qui amènent une autre dimension à l’éternelle « erreur d’orientation ». Si le talent est là - ou pas, il trouvera son chemin. Et même celles et ceux, dont on pense qu’ils se feront écraser par le système, parviennent quelquefois à le dévorer.
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