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Nous sommes tous le produit d’une éducation et d’un milieu socio-économique et culturel. Aussi, les choix d’orientation de nos élèves sont fortement corrélés avec l’environnement au sein duquel ils ont grandi.
Dans cet article, nous allons tâcher de comprendre quel rôle joue le déterminisme dans leur choix d’orientation. Qu’est-ce qui les empêche de faire des choix ambitieux pour leur avenir ? Comment nous, enseignants, pouvons les aider à dépasser ces “freins” pour s’en affranchir, et faire un choix d’orientation en phase avec leurs aspirations ?
Appliqué à l’école, le déterminisme social désigne l’idée selon laquelle les comportements, choix et trajectoires des élèves sont largement influencés, voire déterminés, par leur milieu social, leur éducation, et les conditions socio-économiques dans lesquelles ils évoluent.
Le concept trouve ses racines dans la sociologie, qui met en lumière l’impact des structures sociales sur les décisions individuelles, décisions qui vont souvent au-delà du libre arbitre apparent. Il désigne l’idée selon laquelle les comportements, choix et trajectoires des individus sont largement influencés, voire déterminés, par leur milieu social, leur éducation, et les conditions socio-économiques dans lesquelles ils évoluent.
Ce concept a été théorisé par Émile Durkheim en 1895 dans son livre Les règles de la méthode sociologique, dans lequel il expliquait que les faits sociaux sont des éléments que la société impose à l'individu.
Dans un article publié en 2022, l’Observatoire des inégalités titrait “L’égalité des chances à l’école : une hypocrisie” et rappelait que régulièrement, lors des enquêtes PISA, la France est présentée comme la “championne des inégalités”. Les évaluations réalisées tous les trois ans (sur la compréhension de l’écrit, les mathématiques et les sciences) classent la France comme “moyenne”. Elles montrent surtout qu’il reste encore de gros efforts à réaliser, notamment car les résultats semblent fortement corrélés avec l’environnement socio-économique des élèves.
Le rapport du Conseil National du Système Scolaire (Cnesco) va même jusqu’à affirmer que l’école amplifie les inégalités (voir pyramide ci-dessous) et indique qu’il faut d’urgence réagir en adoptant des réformes sur la durée.
En lien avec ce qu’affirme ce rapport, dans Scolarité, le poids des héritages, Johanna Barasz, Peggy Furic et Bénédicte Galtier, sociologues, indiquent que “le destin des individus se façonne en partie à l’école”. Ils notent ainsi trois trajectoires qui influencent, dès la petite enfance, les élèves et ont un impact sur leur parcours scolaire :
Ainsi, selon les scientifiques, de ces trois dimensions liées à la naissance, c’est l’origine sociale qui, en France, pèse le plus sur les trajectoires scolaires et professionnelles.
Par exemple, on constate que les enfants élevés dans des foyers à faible revenus, issus de l’immigration et dont les parents ont un faible niveau d’éducation sont ceux qui accumulent le plus de retard au cours de leur scolarité. Dès la maternelle, ils partent avec des difficultés, car les parents ne sont pas toujours en capacité de les soutenir et qu’ils se heurtent à un système qui n’est pas toujours apte à leur venir en aide, et ce tout au long de leur parcours scolaire.
En fait, les élèves issus de milieux favorisés bénéficient souvent d’un capital culturel et économique plus élevé. Ils grandissent dans un environnement où les études supérieures sont valorisées et encouragées par leur environnement, leurs amis et leur famille.
Ces familles disposent également des ressources nécessaires pour financer des études longues ou des formations prestigieuses. En conséquence, les enfants de ces milieux s’orientent plus fréquemment vers des filières dites “élitistes” (L’ENA, Sciences Po, Prépa) ou des parcours exigeants.
À l’inverse, les élèves provenant de milieux modestes peuvent être freinés par des contraintes économiques, un manque d’information sur les opportunités éducatives, des difficultés administratives ou numériques. Ces jeunes sont parfois orientés vers des filières courtes ou professionnelles, non pas en fonction de leurs capacités, mais par crainte des coûts liés à des études longues ou par un sentiment d’autocensure.
L’école, bien que souvent présentée comme un lieu de méritocratie, joue finalement un rôle dans la reproduction des inégalités sociales. Des études ont montré que les enseignants et conseillers d’orientation, souvent inconsciemment, adaptent leurs recommandations en fonction du milieu social de l’élève. Par exemple, un élève brillant, mais issu d’un milieu populaire, pourra être dirigé vers une filière technologique ou professionnelle, tandis qu’un élève de niveau moyen issu d’un milieu favorisé sera encouragé à intégrer une filière générale ou prestigieuse.
Ainsi, les inégalités se creusent tout au long de la scolarité, et s’observent encore plus à la sortie du collège, lorsque les premiers choix d’orientation sont à réaliser en fin de cycle 4. Ces orientations de fin de collège reposent sur une évaluation du niveau en fin de 3ème, et sont non seulement dépendants du genre, de l’origine et du contexte socio-économico-culturel dont sont issus les élèves, mais également des jugements et projections des familles et de l’institution scolaire sur les capacités de réussites des élèves.
On observe davantage d’élèves issus de milieux défavorisés être orientés vers :
Et des élèves issus de classes favorisées qui s’orientent vers des parcours d’excellence :
La composition sociale des filières apparaît comme le reflet des catégories socio-économiques dont sont issus une majeure partie des élèves, et cela se retrouve plus tard dans l’enseignement supérieur.
La notion de déterminisme social suscite un débat complexe : sommes-nous prisonniers des conditions dans lesquelles nous naissons, ou avons-nous la possibilité de nous en affranchir ?
Pour répondre à cette question, je vais prendre deux exemples de “parcours d’affranchissement du déterminisme ” - comme j’aime bien l’appeler - pour prouver que non, nous ne sommes pas condamnés dès la naissance. Même si cela reste difficile de s'affranchir des contraintes de son milieu, c’est possible.
Tomas est issu d’une famille défavorisée d’origine portugaise. Il est arrivé en France à l’âge de 12 ans. À la maison, il est le seul à parler français, ses parents s’expriment en Portugais et il leur traduit tous les documents qu’ils reçoivent du collège.
Lors de notre première rencontre, Tomas a exprimé le souhait de devenir professeur d’université, tout en m’expliquant que cela lui serait impossible car ses parents ne pourraient pas financer des études longues et préféraient qu’il aille directement vers un “vrai métier”.
J’ai demandé à rencontrer les parents qui m’ont réaffirmé ce souhait - l’ensemble de la conversation étant traduite par leur fils - et il m’a fallu du temps pour comprendre que les parents n'agissaient pas ainsi dans un désir d’empêcher leur fils d’accéder à ses rêves, mais parce qu’ils craignaient de ne pas pouvoir l’accompagner, si jamais il faisait des études, à cause de contraintes financières, administratives et linguistiques.
J’ai donc tenté de leur expliquer les dispositifs d’aides dont ils pouvaient bénéficier dans mon établissement : la bourse et une aide aux démarches administratives pour la compréhension des plateformes d’orientation.
Aujourd’hui, Tomas est en première année en licence d’histoire à la Sorbonne, et même si ce n’est pas tous les jours facile - pour des raisons financières - il m’envoie régulièrement des nouvelles en m’expliquant être très heureux de ce choix d’étude.
Julie était une excellente élève, issue d’un milieu socio-culturel très favorisé, frôlant les 18 de moyenne générale dans toutes les matières. Comme souvent dans ces cas-là, j’entendais régulièrement mes collègues expliquer qu’elle devait faire une filière générale, puis intégrer plus tard une classe prépa. Or, Julie voulait devenir cheffe cuisinière et faire l’école Ferrandi. Lors de l’oral du brevet, elle nous a présenté tout son parcours d’avenir, pour prouver sa motivation et sa détermination.
Malgré les “c’est dommage” de certains enseignants - qui continuaient à affirmer qu’avec un si beau profil, elle risquait de “gâcher ses capacités” - Julie a tenu bon et elle a intégré l’école qu’elle souhaitait.
Alors, évidemment, ces parcours ne sont pas représentatifs de la majorité des cas, mais ils montrent néanmoins qu’il est possible de ne pas suivre le chemin tracé par sa condition sociale, économique ou culturelle.
Le sociologue Pierre Bourdieu - qui a largement contribué à théoriser le concept de déterminisme social - admettait lui-même que les individus disposent d’une marge de manœuvre grâce à leur "habitus", une disposition à agir façonnée par leur expérience, mais également capable d’évoluer.
Aussi, à partir de ces exemples, on peut noter plusieurs éléments qui peuvent aider les élèves à se libérer - au moins partiellement - du déterminisme social.
Si l’éducation a été rendue gratuite et obligatoire, c’est bien dans l’objectif d’élever les consciences et de permettre, par l’école, de s’émanciper socialement. Pour les élèves issus de milieux très défavorisés, ou présentant des difficultés scolaires, il existe des dispositifs de bourses, des classes spécifiques (type SEGPA, prépa-métier), qui sont censés permettre de réduire les inégalités et de pallier les difficultés pour développer le potentiel de chacun.
Certains élèves seront capables d’avancer, coûte que coûte, malgré les obstacles auxquels ils seront confrontés et de convoquer des ressources internes pour dépasser les contraintes sociales. Par exemple, Julie a tenu tête à ses enseignants qui voulaient à tout prix qu’elle aille en général. Tomas a réussi à aller à l’université alors que ses parents n’avaient que peu de moyens, grâce à une bourse et en se saisissant des aides disponibles.
Nous sommes tous le produit d’une éducation et d’une famille MAIS nous sommes aussi le reflet des rencontres que nous faisons tout au long de la vie. Rencontrer d’autres cultures, partager des expériences, permet d’élargir les horizons et modifier les trajectoires (d’où l’importance des forums des métiers qui permettent aux élèves de rencontrer des personnes aux parcours scolaires et professionnels inspirants).
Les politiques gouvernementales ont pour objectif de lutter contre les inégalités, et cela peut passer par des mesures telles que les programmes de lutte contre la discrimination, les bourses, les quotas dans certaines écoles, l’établissement des écoles classées REP.
La société elle-même joue un rôle. Lorsque les normes évoluent, les barrières symboliques peuvent s’atténuer. Par exemple, la valorisation croissante de la diversité et de la mixité sociale dans certains secteurs réduit les clivages.
Mais bien sûr, pour cela, encore faut-il que les élèves aient connaissance de tous les dispositifs existants et qu'ils aient confiance en l’école. Et cela, ça passe par le travail que nous menons au quotidien en tant qu’enseignants et enseignantes !
En tant qu’enseignant ou enseignante, notre rôle est crucial pour réduire l’impact du déterminisme social sur les choix d’orientation scolaire. Notre posture, nos pratiques pédagogiques, et nos interactions avec nos élèves et leurs familles peuvent favoriser une réelle égalité des chances, en permettant à chaque élève de faire un choix éclairé et ambitieux, indépendamment de son milieu social.
Nous jouons un rôle clé dans la construction de la confiance en soi des élèves. Pour éviter qu’ils s’auto-censurent, se considèrent “nuls” ou pensent que leur avenir est fortement conditionné par leurs résultats.
Les élèves manquent parfois de modèles qui leur montrent que des trajectoires sociales diversifiées sont possibles. Nous pouvons donc :
Chaque élève a des besoins spécifiques, et une approche personnalisée peut aider à lever les freins liés au milieu d’origine :
Il existe pléthore de ressources et de site sur l’orientation (ONISEP, Oriane). Pourtant, fort est de constater qu’on est toujours très peu armé pour aiguiller les élèves. On se retrouve encore bien trop souvent à envoyer un enfant “chez le conseiller d’orientation”, en pensant naïvement que la personne sortira une recette magique de son chapeau. Or, nous devons aussi aider nos élèves à s’orienter et construire leur parcours d’orientation.
Pour cela, il convient de :
Le soutien familial joue un rôle majeur dans les choix d’orientation. Cependant, certaines familles modestes manquent d’information ou se sentent démunies face au système scolaire. Dans ces cas-là, nous pouvons :
Des ouvrages de référence :
Caroline Peiffer, professeure d’histoire-géo-EMC au collège depuis 2017
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