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Comprendre les implications du déterminisme social dans l’orientation

Caroline Peiffer
23 décembre
9 mn

Nous sommes tous le produit d’une éducation et d’un milieu socio-économique et culturel. Aussi, les choix d’orientation de nos élèves sont fortement corrélés avec l’environnement au sein duquel ils ont grandi. 

Dans cet article, nous allons tâcher de comprendre quel rôle joue le déterminisme dans leur choix d’orientation. Qu’est-ce qui les empêche de faire des choix ambitieux pour leur avenir ? Comment nous, enseignants, pouvons les aider à dépasser ces “freins” pour s’en affranchir, et faire un choix d’orientation en phase avec leurs aspirations ?

Le déterminisme ou l’impact du milieu sur les parcours scolaires 

Appliqué à l’école, le déterminisme social désigne l’idée selon laquelle les comportements, choix et trajectoires des élèves sont largement influencés, voire déterminés, par leur milieu social, leur éducation, et les conditions socio-économiques dans lesquelles ils évoluent.

l'essentiel

À l’heure où l’École prône “l’égalité des chances”, peut-on réellement parler d’égalité entre tous les élèves ? 

Dans un article publié en 2022, l’Observatoire des inégalités titrait “L’égalité des chances à l’école : une hypocrisie” et rappelait que régulièrement, lors des enquêtes PISA, la France est présentée comme la “championne des inégalités”. Les évaluations réalisées tous les trois ans (sur la compréhension de l’écrit, les mathématiques et les sciences) classent la France comme “moyenne”. Elles montrent surtout qu’il reste encore de gros efforts à réaliser, notamment car les résultats semblent fortement corrélés avec l’environnement socio-économique des élèves. 

Le rapport du Conseil National du Système Scolaire (Cnesco) va même jusqu’à affirmer que l’école amplifie les inégalités (voir pyramide ci-dessous) et indique qu’il faut d’urgence réagir en adoptant des réformes sur la durée.

 

En lien avec ce qu’affirme ce rapport, dans Scolarité, le poids des héritages, Johanna Barasz, Peggy Furic et Bénédicte Galtier, sociologues, indiquent que “le destin des individus se façonne en partie à l’école”. Ils notent ainsi trois trajectoires qui influencent, dès la petite enfance, les élèves et ont un impact sur leur parcours scolaire : 

  • leur origine sociale ;
  • leur genre ;
  • leur ascendance migratoire.

 

Ainsi, selon les scientifiques, de ces trois dimensions liées à la naissance, c’est l’origine sociale qui, en France, pèse le plus sur les trajectoires scolaires et professionnelles. 

Par exemple, on constate que les enfants élevés dans des foyers à faible revenus, issus de l’immigration et dont les parents ont un faible niveau d’éducation sont ceux qui accumulent le plus de retard au cours de leur scolarité. Dès la maternelle, ils partent avec des difficultés, car les parents ne sont pas toujours en capacité de les soutenir et qu’ils se heurtent à un système qui n’est pas toujours apte à leur venir en aide, et ce tout au long de leur parcours scolaire. 

Pourquoi ces inégalités ? 

En fait, les élèves issus de milieux favorisés bénéficient souvent d’un capital culturel et économique plus élevé. Ils grandissent dans un environnement où les études supérieures sont valorisées et encouragées par leur environnement, leurs amis et leur famille. 

Ces familles disposent également des ressources nécessaires pour financer des études longues ou des formations prestigieuses. En conséquence, les enfants de ces milieux s’orientent plus fréquemment vers des filières dites “élitistes” (L’ENA, Sciences Po, Prépa) ou des parcours exigeants.

À l’inverse, les élèves provenant de milieux modestes peuvent être freinés par des contraintes économiques, un manque d’information sur les opportunités éducatives, des difficultés administratives ou numériques. Ces jeunes sont parfois orientés vers des filières courtes ou professionnelles, non pas en fonction de leurs capacités, mais par crainte des coûts liés à des études longues ou par un sentiment d’autocensure. 

l'essentiel

On observe davantage d’élèves issus de milieux défavorisés être orientés vers : 

  • des redoublements ;
  • des orientations vers des filières professionnelles qui ne leur correspondent pas ;
  • des orientations en filière générale “faute d’autre chose”, qui finiront sans doute en décrochage scolaire et en abandon du système scolaire.

 

Et des élèves issus de classes favorisées qui s’orientent vers des parcours d’excellence : 

  • section internationales et européennes ;
  • classes bilangues ;
  • classe à horaires aménagés (type CHAM).

 

La composition sociale des filières apparaît comme le reflet des catégories socio-économiques dont sont issus une majeure partie des élèves, et cela se retrouve plus tard dans l’enseignement supérieur.

Est-on condamné dès la naissance ou peut-on échapper au déterminisme ?

La notion de déterminisme social suscite un débat complexe : sommes-nous prisonniers des conditions dans lesquelles nous naissons, ou avons-nous la possibilité de nous en affranchir ? 

Pour répondre à cette question, je vais prendre deux exemples de “parcours d’affranchissement du déterminisme ” - comme j’aime bien l’appeler - pour prouver que non, nous ne sommes pas condamnés dès la naissance. Même si cela reste difficile de s'affranchir des contraintes de son milieu, c’est possible.

L’exemple de Tomas

Tomas est issu d’une famille défavorisée d’origine portugaise. Il est arrivé en France à l’âge de 12 ans. À la maison, il est le seul à parler français, ses parents s’expriment en Portugais et il leur traduit tous les documents qu’ils reçoivent du collège. 

Lors de notre première rencontre, Tomas a exprimé le souhait de devenir professeur d’université, tout en m’expliquant que cela lui serait impossible car ses parents ne pourraient pas financer des études longues et préféraient qu’il aille directement vers un “vrai métier”. 

J’ai demandé à rencontrer les parents qui m’ont réaffirmé ce souhait - l’ensemble de la conversation étant traduite par leur fils - et il m’a fallu du temps pour comprendre que les parents n'agissaient pas ainsi dans un désir d’empêcher leur fils d’accéder à ses rêves, mais parce qu’ils craignaient de ne pas pouvoir l’accompagner, si jamais il faisait des études, à cause de contraintes financières, administratives et linguistiques. 

J’ai donc tenté de leur expliquer les dispositifs d’aides dont ils pouvaient bénéficier dans mon établissement : la bourse et une aide aux démarches administratives pour la compréhension des plateformes d’orientation. 

Aujourd’hui, Tomas est en première année en licence d’histoire à la Sorbonne, et même si ce n’est pas tous les jours facile - pour des raisons financières - il m’envoie régulièrement des nouvelles en m’expliquant être très heureux de ce choix d’étude. 

L’exemple de Julie

Julie était une excellente élève, issue d’un milieu socio-culturel très favorisé, frôlant les 18 de moyenne générale dans toutes les matières. Comme souvent dans ces cas-là, j’entendais régulièrement mes collègues expliquer qu’elle devait faire une filière générale, puis intégrer plus tard une classe prépa. Or, Julie voulait devenir cheffe cuisinière et faire l’école Ferrandi. Lors de l’oral du brevet, elle nous a présenté tout son parcours d’avenir, pour prouver sa motivation et sa détermination. 

Malgré les “c’est dommage” de certains enseignants - qui continuaient à affirmer qu’avec un si beau profil, elle risquait de “gâcher ses capacités” - Julie a tenu bon et elle a intégré l’école qu’elle souhaitait. 

Alors, évidemment, ces parcours ne sont pas représentatifs de la majorité des cas, mais ils montrent néanmoins qu’il est possible de ne pas suivre le chemin tracé par sa condition sociale, économique ou culturelle.

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Aussi, à partir de ces exemples, on peut noter plusieurs éléments qui peuvent aider les élèves à se libérer - au moins partiellement - du déterminisme social.

  • L’éducation 

Si l’éducation a été rendue gratuite et obligatoire, c’est bien dans l’objectif d’élever les consciences et de permettre, par l’école, de s’émanciper socialement. Pour les élèves issus de milieux très défavorisés, ou présentant des difficultés scolaires, il existe des dispositifs de bourses, des classes spécifiques (type SEGPA, prépa-métier), qui sont censés permettre de réduire les inégalités et de pallier les difficultés pour développer le potentiel de chacun.

  • La résilience individuelle

Certains élèves seront capables d’avancer, coûte que coûte, malgré les obstacles auxquels ils seront confrontés et de convoquer des ressources internes pour dépasser les contraintes sociales. Par exemple, Julie a tenu tête à ses enseignants qui voulaient à tout prix qu’elle aille en général. Tomas a réussi à aller à l’université alors que ses parents n’avaient que peu de moyens, grâce à une bourse et en se saisissant des aides disponibles.

  • Les réseaux sociaux et culturels

Nous sommes tous le produit d’une éducation et d’une famille MAIS nous sommes aussi le reflet des rencontres que nous faisons tout au long de la vie. Rencontrer d’autres cultures, partager des expériences, permet d’élargir les horizons et modifier les trajectoires (d’où l’importance des forums des métiers qui permettent aux élèves de rencontrer des personnes aux parcours scolaires et professionnels inspirants).

  • Les politiques publiques 

Les politiques gouvernementales ont pour objectif de lutter contre les inégalités, et cela peut passer par des mesures telles que les programmes de lutte contre la discrimination, les bourses, les quotas dans certaines écoles, l’établissement des écoles classées REP.

  • L’évolution des mentalités 

La société elle-même joue un rôle. Lorsque les normes évoluent, les barrières symboliques peuvent s’atténuer. Par exemple, la valorisation croissante de la diversité et de la mixité sociale dans certains secteurs réduit les clivages.

Mais bien sûr, pour cela, encore faut-il que les élèves aient connaissance de tous les dispositifs existants et qu'ils aient confiance en l’école. Et cela, ça passe par le travail que nous menons au quotidien en tant qu’enseignants et enseignantes !

Comment aider les élèves à dépasser le déterminisme social ?

En tant qu’enseignant ou enseignante, notre rôle est crucial pour réduire l’impact du déterminisme social sur les choix d’orientation scolaire. Notre posture, nos pratiques pédagogiques, et nos interactions avec nos élèves et leurs familles peuvent favoriser une réelle égalité des chances, en permettant à chaque élève de faire un choix éclairé et ambitieux, indépendamment de son milieu social.

Valoriser les progrès des élèves

Nous jouons un rôle clé dans la construction de la confiance en soi des élèves. Pour éviter qu’ils s’auto-censurent, se considèrent “nuls” ou pensent que leur avenir est fortement conditionné par leurs résultats. 


Proposer des modèles inspirants et lutter contre les stéréotypes et biais cognitifs

Les élèves manquent parfois de modèles qui leur montrent que des trajectoires sociales diversifiées sont possibles. Nous pouvons donc : 

  • Inviter des intervenants d’horizons variés pour partager leur parcours, en montrant que réussir dans certaines filières ou métiers n’est pas conditionné par l’origine sociale. Par exemple, en organisant un forum des métiers dans l’établissement, avec l’aide des CPE, de la direction et des parents d’élèves.
  • Mettre en avant des figures issues de milieux modestes dans nos enseignements : l’histoire, la littérature, les sciences regorgent de figures permettant de montrer des parcours de vie, et d’affirmer qu’on n’est pas prisonnier de sa condition de naissance.
  • Adopter une posture d’égalité dans les échanges, en évitant de présupposer les aspirations ou capacités des élèves sur la base de leur milieu familial.

 

Individualiser l’accompagnement

Chaque élève a des besoins spécifiques, et une approche personnalisée peut aider à lever les freins liés au milieu d’origine :

 

se former à l'information sur l'orientation

Renforcer la relation avec les familles

Le soutien familial joue un rôle majeur dans les choix d’orientation. Cependant, certaines familles modestes manquent d’information ou se sentent démunies face au système scolaire. Dans ces cas-là, nous pouvons :

  • Impliquer les parents dans les discussions sur l’orientation, en leur fournissant des informations claires et accessibles : tenez-les régulièrement informés des démarches à effectuer vis à vis de l’orientation, des journées portes ouvertes dans les établissements ou encore des lieux où ils peuvent trouver des ressources (type CIO, sites comme l’ONISEP ou Oriane).
  • Organiser des rencontres régulières pour les accompagner dans le suivi des choix d’orientation de leurs enfants. Cela peut passer par des entretiens individuels, des soirées de rencontre type Café parents-profs, ou encore des réunions d'accueil pour soutenir les familles. 
  • Lutter contre le sentiment d’exclusion ou de distance que certaines familles ressentent vis-à-vis de l’école : la fracture numérique, des parcours de vie ou scolaire difficiles, tout cela peut avoir créé un état de méfiance des parents envers l’école. Ils se sentent perdus, voire rejetés et oubliés, et il convient parfois d’aller à leur rencontre pour échanger avec eux et leur montrer que l’école est un partenaire, non un ennemi, et qu’ils peuvent se saisir des aides.
pour aller plus loin

 

Caroline Peiffer, professeure d’histoire-géo-EMC au collège depuis 2017

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