J’enseignais depuis quelques semaines à peine, dans une classe de grande section, quand j’ai réalisé que le système de correction du travail des élèves qui m’avait été présenté ne fonctionnait pas pour moi… Sans beaucoup d’expérience, j’ai tâtonné, testé, et au bout de quelques mois, j’ai trouvé une organisation de ma classe qui me permettait, un peu mieux, de corriger le travail de mes élèves en temps réel. Et là, sans mettre ce mot sur ce que je faisais, je commençais à innover dans ma pratique d’enseignante. 

Je vais partager avec vous une pratique qui a particulièrement marqué ma façon d’enseigner, que j’ai mise en place progressivement : l'enseignement explicite. Elle fait partie des pistes pédagogiques fondées par la recherche recensées par le Conseil scientifique de l’Éducation nationale, dans sa Boîte à idées.

L’enseignement explicite est un enseignement structuré, où l’enseignant·e utilise des explications claires, des démonstrations et une pratique guidée pour engager ses élèves, tout en étant très clair sur l’objectif d’apprentissage de chaque séance. Son efficacité a été démontrée par de nombreuses recherches scientifiques. Il est bénéfique pour tous les élèves, y compris les élèves qui ont un bon niveau, tout en bénéficiant tout particulièrement aux enfants qui ont un niveau plus faible.

La recherche nous montre également que pratiquer une pédagogie basée de façon importante sur la découverte est une « fausse bonne idée ». S’il est important de s’assurer de la motivation et de l' engagement des élèves, ils ne doivent pas être laissés à eux-mêmes pour découvrir des concepts ou stratégies. Ils doivent plutôt être guidés dans cette phase d'exploration et de découverte, avant de les appliquer à des problèmes nouveaux en autonomie.

De prime abord, ces préconisations semblent aller à l’encontre de ce qu’on nous a souvent demandé de faire avec nos petits élèves. En maternelle, le programme se travaille à travers des activités ludiques et variées, où les enfants ont à peine l’impression de « travailler » : on fait des maths en jouant à la marchande, ou du graphisme en passant par la salle de motricité. 

Il me semble toutefois possible de concilier l’enseignement explicite avec cet état d’esprit très pluridisciplinaire et ludique de la maternelle. Être au clair sur l’objectif de chaque activité proposée, et le transmettre de façon explicite à travers des consignes claires, nous permet de tirer tous les bénéfices de notre souplesse pédagogique, tout en menant nos élèves vers les apprentissages de manière efficace. 

L’enseignement explicite s’organise autour de leçons très structurées en étapes. Je reprends ici ces étapes, en proposant un exemple de comment on pourrait le mettre en place en maternelle. Imaginons une séance d’arts visuels où nous allons construire un pantin. Nous sommes d’accord qu’il y a une multitude de compétences travaillées dans cette activité, mais je vais en choisir une qui sera mon objectif de séance. 

1. Expliquer et définir l'objectif d’apprentissage 

Au lieu de dire à mes élèves « Aujourd’hui, on va fabriquer un pantin. », je présente la séance en disant « Aujourd’hui, vous allez apprendre à nommer 10 parties du corps ! ». On nomme les parties, on les montre sur nous ou sur une image, puis je présente l’activité. « Nous allons construire un pantin, et quand il sera terminé, chacun doit pouvoir me nommer les différentes parties du pantin. »

2. Montrer l’activité à réaliser en laissant votre pensée en haut-parleur

Expliciter les gestes et les raisonnements : « Donc, je vais construire mon pantin en nommant les parties dans ma tête. Je prends le tronc, et je dis 'tronc' pour me souvenir, puis je prends un bras. Si j'ai oublié, je peux demander à un copain : 'tu sais comment ça s’appelle ?', puis je le répète, ça m’aide à mémoriser. »

3. Guider la pratique (on fait ensemble)

On le fait souvent en petit groupe ou en regroupement. On demande à un élève de reformuler l’objectif et de montrer ce qu’il faut faire : « Inès, tu peux nous dire ce qu’on va apprendre à faire en construisant notre pantin aujourd’hui ? Tu me montres comment tu vas faire. » On précise des concepts et on pose des questions pour vérifier la compréhension de tous, et surtout on corrige les petites erreurs. 

4. Rendre la pratique autonome (tu fais)

Passer la consigne en indiquant les actions à effectuer, dans l’ordre, avec un vocabulaire précis. « C’est parti, vous allez construire vos pantins. N’oubliez pas de dire à haute voix chaque partie de votre pantin quand vous l’accrochez. » Il est important ici de surveiller l'activité. En maternelle, nos élèves sont trop jeunes pour être réellement en autonomie sur une activité d’apprentissage, ils auront sûrement besoin de notre étayage ou retour d’information : « Alors, tu es en train d’accrocher quelle partie du pantin ? ».

5. Objectiviser

Le séance terminée, on va aider nos élèves à mettre des mots sur ce qu’ils ont fait, et revenir sur l’objectif. « Vous vous souvenez de ce qu’on allait apprendre en fabriquant notre pantin ? Oui, les parties du corps. Lesquelles ? ».

6. Réviser

Étape essentielle : il est important de réactiver les connaissances pour qu’elles s’installent. Le lendemain, dans une semaine, puis dans quelques mois, avec le pantin et d’autres supports, toujours en étant explicite sur pourquoi on le fait. « On va chercher dans notre tête le nom de toutes les parties du corps, parce que c’est en y pensant de temps en temps qu’on ne les oubliera jamais ! ».

Cela peut paraître réducteur de ramener l’activité à une simple activité de langage. Mais les autres compétences seront aussi travaillées (la motricité pour découper/assembler le pantin, la créativité si on propose de les décorer à la peinture libre, le schéma corporel, et même les maths si on en profite pour compter combien de pièces composent notre pantin). Mais la définition d’un objectif clair, ici de vocabulaire, permet à l’adulte et aux élèves de s’assurer que cet objectif est atteint. 

Paula Buswell

Directrice d’école maternelle, professeure des écoles pendant 12 ans