Des fiches à télécharger pour s'outiller toute l'année !
En savoir plus
En savoir plus

La déforme du lycée pro : le billet d'humeur de Monsieur Z

Monsieur Z
31 mai 2023 15:49
4 mn

Avant-propos

Pourquoi la réforme ?

Un lundi soir d’avril, alors que notre Président tentait de nous expliquer pourquoi la réforme des retraites, c’était sympa, il a tout de suite parlé de trois piliers de rénovation de la société française. Non pas pour noyer le poisson, mais, car ces piliers-là étaient vraiment, mais vraiment indispensables à la poursuite de notre société et à l’avenir de notre démocratie. Et figurez-vous que le premier pilier, c’était la réforme du lycée professionnel

Là où on attendait l'Éducation dans son ensemble, l’Hôpital, l'Écologie, les gens lambdas ont pu découvrir que le premier truc à gérer et à changer, c’était le lycée pro. Ces mêmes gens ont sans doute sauté sur Google pour voir ce qu'était ce lycée qu’il fallait absolument réformer. Ils ont ainsi pu découvrir son existence. Oui, en général quand on parle de lycée, qu’on fait les reportages en juillet sur les résultats du bac avec les élèves qui sautillent et les deux ou trois qui ne sautillent pas, on parle du bac général. LA VOIE ROYALE. Quand on parle de CAP à la télé, c'est pour des reportages maritimes : CAP de Bonne Espérance, CAP sur l’île des pirates. Mais pas le CAP chaudronnerie - sauf chez Pernault, mais il est mort.

Donc pourquoi cette réforme ? Tout simplement, car il faut dire que nos chers élèves en difficulté, comme ils sont souvent stigmatisés, sont les premiers à pouvoir trouver un taff à la sortie de leurs études. Oui pas comme le bac général qui nécessite a minima huit ans d’études pour trouver un métier digne de ce nom. 

Il fallait donc le plus vite possible faire du chiffre. Le plein emploi du lycée pro. Peu importe si la suite allait devenir du prêt-à-enseigner. Peu importe si on allait déféquer sur le terme lycée, il fallait tout axer sur le mot profession-nel. Pour cela, vive l’apprentissage notamment, en déléguant au patron et au tuteur tout l’enseignement disciplinaire professionnel, et faisant venir le gamin une fois par mois pour les matières générales. Comme si c’était capital qu’il devienne un lecteur critique et compétent sachant déambuler dans la société actuelle. NON. Il devait uniquement savoir être utile dans la société à SON poste, en bon exécutant et pas en tant que citoyen. Une filière d’excellence de Wish.

Comment les faire taire ?

Du pain et des jeux durant l’Antiquité : les empereurs romains savaient y faire. Ils leur ont tout appris, car, pour museler la seule puissance pouvant renverser toute réforme, il suffisait de la leurrer avec un artifice plutôt grossier, mais efficace : LA THUNE. 

Oui, notre jeunesse a accueilli cette réforme avec engouement et bienveillance : ils allaient être payés durant les stages. Voilà, prends cet os à ronger. Ce salaire, ou plutôt cette pitoyable pitance ,allait être fournie par l’État - donc par nous, histoire de ne pas non plus se mettre à dos les gentils employeurs qui allaient prendre nos petits stagiaires. Une paye pour un stage accompli (Machiavel jubile). 
Peu importe si parfois le ou la stagiaire ne faisait rien durant son stage ou rien en rapport avec son futur diplôme, s’il était exploité, mal renseigné ou laissé à l’abandon. À la fin, il serait payé. Et ça commence dès septembre. Illico presto. Une muselière adaptée et seyante.

Et les profs dans tout ça ?

Mais aucun problème pour eux, l’establishment a pensé à tout. Il a dégainé le terme reconversion et a fait grincer bien plus de dents en une phrase que des patients en cabinet dentaire sur un siècle :

« Les enseignants pourront être recasés dans les collèges ou les écoles, en tant que PE ; car l’intérêt des élèves prime ».

Parfait donc ! Puisqu’on avait du mal à recruter lors des concours désertés par les futurs enseignants, il fallait donc jouer aux vases communicants ! Là encore, peu importe qu’un prof de PSE ou de mécanique n’ait pas vraiment toutes les capacités, il sera à l’aise face à des quatrièmes B2 ou une classe de CM2. Bah oui ça va, il sait se servir d’un vidéoprojecteur ? D’un feutre Velleda ? Il a déjà entendu le terme de séance d’apprentissage ? Il gérera. 

Ou comment en une phrase faire un double kick à la face des profs de collège, de lycée pro, des écoles. Une sorte de Hiroshima pédagogique. Une réforme au Napalm. Et si les enseignants, les plus durs à cuire (car on les connaît les profs, ils mettent rarement du cœur à l’ouvrage quand on change leurs petites habitudes), ne voulaient pas de cette digne reconversion ? 

Et bien qu’à cela ne tienne, ils vont créer un nouvel organe au sein des lycées pro, appelé « le bureau des entreprises » qui sera l’outil le plus approprié pour la gestion des stages. Ah oui ok. Bon chez nous ça s’appelle le DDFPT, autrefois “chef des travaux”. Ah ben voilà ! Ah merde… Il y en aura 12 dans le même bureau. Répartition des tâches. Un nouvel organe mort-né pendouillant, flasque dès sa naissance.

Les tuteurs remplacent les profs pro. Les profs pro remplacent les profs et les instits absents. Il y a une personne physique en face de chaque élève ? C’est bon ? Allez, on fait pareil à l’hôpital. Josette, tu ne veux pas aller remplacer le chirurgien ortho là  ? Mais on s’en fout que tu sois véto… Une papatte est une papatte !

ON FEEEEEEEEERME !

Qui dit réforme dit refondation. On s’est chargé des exécutants, pardon, des apprenants d’une filière d’excellence (désolé, je n’ai pas encore la syntaxe au bout des lèvres), des profs. Il faut désormais s’occuper des sections. Et sur le papier, ça a de la gueule : 80 sections fermées dès septembre 2023. Ah bon. Alors, on espère toujours une coquille du ministère, car les élèves ont pour la plupart une idée d’orientation en mai (mois qui est assez propice à ça !), voire déjà fait leurs vœux. Et ce serait ballot pour eux, et pour les profs, qu’ils se soient inscrits dans une section fantôme, hantée par un référentiel spectral donné dans une DHG moribonde.

Donc, on en est là, dans un brouillard qui sent la mort. Mais que ce soit en 2023 ou en 2024, on sait que le gouvernement a dans le viseur un grand nombre de sections du tertiaire, selon bassin (carte à observer sur Internet, comme un grand cimetière à perte de vue), là où l’industrie tient PAR CONTRE le bon « CAP ». Réindustrialisation oblige. 

150 filières ouvertes par contre, dont on ne sait rien encore. Bac pro influenceur ou UBERassistant, CAP plongeur en cuisine ou technicien expérimenté de surface plane ou en dénivelé. La demande des entreprises est claire : ON A BESOIN DE MAIN D’ŒUVRE. À nous désormais de faire rêver des jeunes sur des filières flirtant avec le job étudiant ou le taff alimentaire par excellence. Tout est sous contrôle.

Que va-t-il se passer pour les lycées pro tertiaires touchés ? Pour ces lycées aux plateaux techniques limités, mais qui accueillaient un public nombreux et motivé ? Se redéfinir ou mourir. Le compte à rebours a commencé, mais les sabliers n’ont pas été distribués auprès des chefs d’établissement, qui comme nous, guettent sur les réseaux, BFM ou pif gadget les avancées de cette méforme.

 

Voici donc, chères et chers camarades, où nous en sommes. On pourrait écrire encore et encore, mais ce résumé est bien assez saignant et saisissant. 
Alors aux futurs profs-formateurs de lycée en mutation génétique, je vous envoie tout mon courage, et tout mon respect. 
À mes élèves dont je ne cesse de vanter les compétences, leur disant « Vous avez tout compris. » depuis des années, je leur demande d’ouvrir les yeux, d’y voir clair et de cesser ce jeu de dupes.

Et à ceux qui sont en haut et nous contemplent.

Je ne dirai mot.

Monsieur Z.

Prof de Lycée Pro (mais pour combien de temps encore ?) quelque part en France, dont l'humour sévit sur Facebook et sur Instagram.

:

57 profs ont trouvé ce contenu utile

PARTAGER

Commentaires

Aucun commentaire n'a encore été publié.

Vous devez être connecté-e pour publier un commentaire.

Me connecter pour réagir

utile

Des articles pratiques et concrets !


pertinent

Un contenu sélectionné par des enseignants


éclairé

Une aide dans le quotidien des enseignants


adapté

Des contenus adaptés à votre profil