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Posons le décor. Je suis debout dans le hall, la sonnerie retentit, c’est la fin de la récréation, les élèves se rangent et montent avec leur enseignant. Mais j’aperçois cet élève qui traîne, seul. Certaine de savoir à cet instant comment incarner la loi, je l’invite, sur un ton particulièrement ferme, à se dépêcher. Pourtant, à ma grande surprise, je le vois bien, non seulement il m’ignore, mais en plus, il me nargue complètement du regard ! Je le somme alors de venir à moi. Oserait-il contester mon autorité ?!
Là, s’entame un dialogue sur un ton abrupt dans une escalade d’éclats de voix. Désormais, je sens que je ne peux plus revenir en arrière… Pire encore, quelques collègues épient la scène, curieux de voir comment je vais m’en sortir ! Je ne lâche donc rien et insiste, et au bout de quoi, à peine quelques microsecondes, j’explose en hurlant “VIENS ICI, JE TE DIS, JEUNE HOMME !”. Je sens que je perds pied, et alors une colère, mêlée de honte, traverse tout mon corps… Mon cœur bat fort, ma température corporelle augmente, mon souffle est saccadé. Cette injonction, si elle n’est en rien irrespectueuse, me semble, en le disant moi-même dans toute la fureur et la gêne qui m’animent à cet instant-là, violente. Comment en suis-je arrivée là ?
Je pense souvent à cette expérience que j’ai vécue… Elle me rappelle combien la prise de recul, la gestion des émotions ou self control, dans chacun de nos gestes et notre posture, nous préservent quotidiennement de contrariétés, mais aussi - et surtout - d’incidents plus importants… Mais elle me rappelle par-dessus tout que nous ne sommes, au bout du compte, jamais responsables que de nos paroles et nos agissements, et en aucune mesure de ceux des autres.
Quelques-uns d'entre vous se demandent peut-être, à l’inverse, comment l’élève, lui, a vécu la situation. À vrai dire, je n’en ai pas la moindre idée, mais s’il me lisait, je lui dirais à quel point je reconnais avoir été maladroite et combien j’ai appris ce jour-là. … Ce qui résonne en moi, c’est que ma relation d’éducateur envers mes élèves n’est EN RIEN un rapport de force : pas de gagnant, pas de perdant, et l’idée que je me faisais de l’autorité, très inconsciemment d’ailleurs, était totalement erronée ! Si l'élève s’est finalement plié à ma demande, ce jour-là, j’ai su au plus profond de moi que quelque chose m’avait échappé, que j’avais loupé quelque chose, bref, que j’avais mal fait.
Certains se diront que l’anecdote est aux antipodes de l’idée du comportement problématique d’un élève, et que ce modeste écrit frôle le hors-sujet… À vrai dire, pas tant que cela. Je présente cette situation comme un contre-exemple pour aider à recentrer la réflexion sur soi et sa manière d’agir plutôt que de garder décentrée la vision accusatrice que l’on a sur l’autre.
Les comportements nuisibles au bon déroulé de nos cours sont presque monnaie courante dans nos esprits. Ne prennent-ils pas finalement un peu trop le pas sur l’ensemble des comportements adaptés de nos autres élèves ? Et si nous prenions ensemble de la distance au quotidien pour prévenir les comportements indésirables, voire violents de nos élèves ?
Le sujet de la violence que l’on dit avoir vécue est vaste, et il peut arriver qu’on ne s’accorde pas, et pour cause : elle y contient tant de subjectivité ! Voilà pourquoi, rappelez-vous plus haut, nous ne pourrions nous accorder unanimement au sentiment que J’AI ressenti lors de l’incident. Tentons d’explorer ensemble : je vous propose quelques pistes que j’ai identifiées et expérimentées.
Rétrospectivement, je peux affirmer aujourd’hui n’avoir pas été dotée d’une entière sérénité le jour où j’ai vécu la situation évoquée en introduction. J’ai mis du temps à le comprendre. Nous sommes sensibles à certaines choses, paroles ou actes, et insensibles à d’autres. Et ce schéma varie selon le jour, selon notre humeur du moment et de bien d’autres paramètres.
Ainsi donc, ce jour-là, force est de constater que j’ai apprécié et interprété le regard de cet élève. Si je juge que j’aurais pu/dû réagir différemment, c’est que la situation m’interroge. Avec du recul, j’aurais peut-être ignoré ce regard, non pas sans répondre, ni en me "laissant faire", mais en abordant l’élève avec de la distance, ou peut-être en n’en tenant absolument pas compte. Qui sait comment la situation aurait évolué après tout ? Quand je souffle un bon coup dans une situation pénible, je la gère bien mieux. Je décentre mon regard sur l’autre, je recentre l’attention sur moi-même pour mesurer ma météo intérieure. Cela m’aide à plus de légèreté, d’objectivité, et à bien davantage de bienveillance.
Dois-je prendre pour argent comptant le moindre des agissements que j’interprète comme négatif ou néfaste à mon égard ? Les situations vécues par chacun de nous sont très relatives ! Rappelez-vous ce jour où vous avez atterri dans le bureau du CPE complètement à bout de nerfs - de votre journée - mais sur le moment, croyant mordicus être à bout de nerfs SEULEMENT à cause de Thomas, cet élève de 5ᵉ qui, rien n’y fait, ne tient pas 55 minutes dans la posture que vous exigez !
S’agit-il de revoir à la baisse vos exigences ? Certainement pas ! S’agit-il d’ajuster le curseur sur votre échelle de gravité et prendre la mesure de votre propre sensibilité dans une situation que vous ressentez aux premiers instants inconfortable ? Pourquoi pas ! Essayez pour voir. Quoi qu'il en soit, rappelez-vous, vous étiez ensuite revenu vers le CPE, qui guettait pourtant votre rapport écrit pour aviser ensemble de la suite à donner… Mais vous vous étiez finalement ravisé : "Non, écoute, je lui laisse une chance, ce n'était pas si terrible en fait…"
Il n’est, à ce stade, ni question d’être laxiste, ni de juger quelque réaction de l’enseignant. Simplement, parfois avouons-le, à chaud, nos réactions peuvent être très vives, voire disproportionnées. D’autres fois par contre, nous restons fermes sur notre position et, à tête reposée, nous pouvons affirmer objectivement que les limites ont été dépassées. Voilà donc deux tableaux complètement distincts.
Et rassurons-nous, tout est normal ! Nous travaillons sur de l’humain. Dans le doute, différons le dialogue sans le clore définitivement.
Depuis ce jour, et ça commence à dater, j’ai mûri, (bon, on dit aussi vieillir, c'est ça ?!) j’ai appris et j’apprends encore et encore. Et puisqu’on ne cesse jamais d’apprendre, et puisque nous travaillons sur ce que je qualifie de plus sensible au monde, à savoir les enfants des autres, j’ai ressenti le besoin de me former à une meilleure qualité de relations interpersonnelles et à une meilleure compréhension de celles-ci.
Pensez à cet élève de 4ᵉ qui ne cesse de "VOUS" chercher… Il vous pousse vraiment à bout à chaque cours. C’est une évidence… pour vous ! Mais si vous preniez le contre-pied ? Au cours de mes recherches, j’ai découvert une petite pépite : les quatre accords toltèques. Don Miguel Ruiz enseigne à quel point "ne jamais rien prendre personnellement", sans pour autant nous couper du monde, nous protège et nous épargne bien des tracas quotidiens.
C’est aussi nous rappeler que nous ne sommes, très humblement, pas le nombril du monde, ni l’unique centre d'intérêt de notre entourage ! Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, ces mots ont été une révélation. Je m'exerce sans relâche à aborder des situations aux antipodes de mon modèle d’éducation et, plus encore, social… Considérer que ce n’est pas une affaire personnelle et utiliser mon bouclier de protection sans modération tant que je peux me protéger de ce que je considère comme blessant ou néfaste. Par extension, je m’économise des interprétations chronophages et subjectives. Je m’économise de l’énergie ! Bref, quelle richesse, quelle hygiène de vie : essayer, c’est l’adopter !
"Diana ? Oui, c’est une de mes élèves de 6ᵉ ! Elle était très studieuse en début d’année, mais, au fil des semaines, je me suis vite aperçu qu’en fait, elle est assez fainéante ! En plus, elle ne montre même pas les mots que je laisse à l’attention de ses parents dans son carnet. Une vraie chipie ! Et sa nouvelle mode ? Elle ne ramène même plus ses affaires ! Franchement, elle se moque du monde mais à moi, on ne me la fait pas. Elle me déçoit beaucoup."
N’avez-vous rien remarqué ? À bien le relire, ce récit porte beaucoup autour du narrateur : "je, me"... Avec un peu de recul, et sans prendre personnellement le fait qu’elle puisse délaisser ma matière, je peux m’interroger sur son comportement. "Mais quel est son problème ?!" Il y aurait mille et une autres situations encore plus flagrantes d’un comportement indésirable en classe : chahuter, interrompre le cours, se lever sans autorisation, refuser de travailler, demander intempestivement la parole, etc.
En psychologie, un comportement est l’ensemble des réactions objectivement observables d'un sujet. Franck Ramus traite avec précision de la régulation des comportements et indique combien nous (enseignants, éducateurs, encadrants) avons, comme tous les êtres humains, une compréhension intuitive de la manière d’influer le comportement des autres. Les habitudes sociétales et éducatives nous amènent très souvent à manier le bâton et la carotte. Étant donné que cela ne fonctionne pas toujours, force est de se demander comment on peut obtenir de nos élèves le comportement que nous estimons adapté en classe. L’auteur distingue deux concepts complémentaires à maîtriser :
Parfois aussi, il faut simplement prêter attention en observant dans quelle humeur vos élèves entrent en classe peut suffire. Par exemple, dans la situation de Diana, je n’y peux fondamentalement pas grand-chose après tout si elle vit une difficulté personnelle. En revanche, je peux créer un antécédent positif, pour maximiser les chances d’obtenir un meilleur comportement. Un peu comme un facilitateur, je pose les conditions les plus favorables. Quand l’antécédent est positif, en découle plus facilement un comportement serein, et donc une conséquence positive et agréable pour l’élève, pour le groupe classe et donc pour moi. En plus, je multiplie les chances que ce bon comportement se reproduise.
Saisir les liens indissociables entre l'antécédent (du comportement), le comportement lui-même, et la conséquence (de ce comportement) nous permet de maximiser les chances de voir se produire le comportement attendu et de prévenir nos réactions face aux comportements inopportuns dans nos classes en agissant très largement là-dessus en amont. Franck Ramus nous éclaire immensément sur les nombreuses possibilités qui s’offrent à nous pour réguler les comportements de nos élèves. Pour ce faire, le spécialiste propose trois leviers d’action.
Dans des domaines très variés, il a été démontré combien la règle du 5 pour 1 pèse dans la balance des relations interpersonnelles avec un effet positif. En éducation, les enfants qui reçoivent cinq à six commentaires positifs pour un négatif sont ceux qui progressent le plus en vocabulaire et en intelligence.
À la lecture des recherches, on saisit désormais le poids énorme d’un reproche, d’une critique ou d’une sanction. Ses effets sont très délétères sur le ressenti et la motivation de l’individu. Mais le plus étonnant encore, et c’est là que réside tout le bénéfice de ces recherches, c’est qu'il est également démontré que cinq compliments ou récompenses sont nécessaires pour le compenser.
Mais, et en classe alors ? Les constats sont les mêmes : plus les compliments sur les comportements appropriés sont nombreux, plus les comportements perturbateurs et les périodes d’inattention diminuent, et plus les élèves sont concentrés sur leur travail. Aussi, verbaliser le bon comportement, le décrire et le dire lorsqu’il se produit aide les élèves à s’en imprégner.
Franck Ramus dépeint quelque chose que nous faisons rigoureusement au quotidien : pointer ce qui ne convient pas en classe ! Fort des recherches, il propose de faire fructifier ce temps (perdu) : affaiblir le comportement indésirable en ne réagissant pas, et renforcer les comportements positifs en prenant le temps de les valoriser.
Cela nous est, au quotidien, très difficile, et nous faisons plutôt l’inverse, par habitude certainement mais surtout pour souligner, justement, ce qui nous dérange et qui ne devrait pas être pris pour exemple par les autres élèves… Pourtant, du point de vue de l’élève, le simple fait que vous vous arrêtiez en plein cours pour vous adresser à lui, quand bien même pour une remontrance, est autant de temps que vous lui accordez. Et c’est là que le bât blesse car nous tournons en rond sans en sortir… De plus, souligner le mauvais comportement apprend-il aux élèves comment mieux faire ?
Le sujet est assez complexe mais mérite assurément de nous y plonger. Le MOOC “La psychologie pour les enseignants” aborde dans le détail toutes les subtilités de ces relations interpersonnelles. L’idée générale est de réagir le moins possible aux signes avant-coureurs du comportement non désiré jusqu’à obtenir son extinction, à un moment donné… Évidemment, cette seule proposition ne fonctionnerait pas à tous les coups ! Elle s’inscrit dans une démarche plus globale de modification de notre posture. Tout un programme, donc, direz-vous ! Mais, à bien y réfléchir, cela vous est déjà arrivé et cela avait peut-être même fonctionné ! Seulement, le quotidien nous happe trop dans ce que l’on considère comme devoir “gérer” un mauvais comportement… Alors faites-vous confiance !
Réguler les comportements de nos élèves suggère de les punir en sanctionnant le mauvais comportement (un rappel à l’ordre, des heures de retenue, une exclusion de cours). Bien entendu, il n’est absolument pas question d’en faire l’économie, ce serait biaiser le fonctionnement de la société toute entière.
Quand on traite de la punition d’un élève, cela doit pouvoir laisser entendre qu’elle est annoncée dans un esprit posé et bienveillant. Elle doit être juste, proportionnée, et respectueuse des lois en vigueur. En cas de doute, on n’hésite pas une seule seconde à différer. Rien ne presse… Ne dit-on pas que la colère est mauvaise conseillère ?
"Punir", dans la langue française, est un synonyme de châtier. Passé ce détail, on s’assure donc que l’élève comprenne la sanction de son acte. Le but est clair : cette situation ne doit pas se reproduire. En fait, l'idée est de les utiliser de façon ponctuelle et modérée pour la simple et bonne raison d’en maintenir l’efficacité et le poids. C’est une des mises en garde de Franck Ramus.
Tomber dans l’annonce systématique de la punition, c’est risquer de faire naître l’injustice, de punir collectivement, et par là même, de faire perdre l’essence de son efficacité, sa légitimité et sa justice aux yeux de l’élève. Cela risque aussi de lasser l’élève en ce qu’elle perdra de son impact car tombant dans une forme de routine et d’automatisation. Or, la poser plus ponctuellement, avec justesse et assurance en prenant le temps de l’expliciter, afin qu’elle soit acceptée et comprise donnera davantage matière à voir émerger le comportement attendu la fois prochaine.
Limiter l’automatisme des punitions permet de changer de paradigme et de réagir différemment. Enfin, si la punition est nécessaire, gardons à l'esprit qu’elle n’apprend pas à l’élève de quelle manière se comporter, juste que l’attitude employée est mauvaise. À méditer…
Autour d’un café, ou entre deux cours, parfois, il est bon de savoir poser notre sac parfois trop lourd et discuter avec nos collègues. Non, pas le sac de cours… L’autre, celui qu’on garde sur le dos sans relâche et dans lequel on fourre toutes nos contrariétés et, pense-t-on, nos échecs… Que penserait ce prof coordo des 3ᵉ si aguerri qui se réjouit à chaque fois qu’il a cette classe ? Alors que moi, je suis à bout !
Ne vous fiez pas aux apparences. Il n’est pas question de dire qu’on n’y arrive pas, mais d’ailleurs, si c’était le cas, où est le problème ? S’inspirer des autres et prendre le temps de se décentrer pour piocher, trouver, réessayer d’autres manières de pratiquer… pour notre bien-être, et un meilleur climat scolaire, duquel nous faisons bel et bien partie. N’est-ce pas une belle fenêtre pour s’aérer ?
CPE depuis 2013, intervenante Inspé dans l'Académie de Guadeloupe
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