Prof sans voix, j'ai transformé mon handicap en force enseignante

Sophie Defour
17 septembre
8 mn

Tout commença un beau matin de décembre... Cela faisait 3 ans que j'enseignais avec passion au collège, et que je jonglais avec les défis quotidiens de notre profession. Ce jour-là, je me suis réveillée avec une grande difficulté à parler. 

Pas de douleur particulière, juste un chuchotement à peine audible. “Ça ira bien pour aujourd'hui”, me suis-je dit. Quelle erreur ! À peine arrivée au collège, j'ai dû faire demi-tour… Ces petits muscles au fond de la gorge s'avéraient finalement indispensables pour exercer mon métier !

Ce qui devait être un arrêt de 15 jours s'est transformé en un mois, puis en une véritable odyssée. De prof enthousiaste, je suis passée à prof sans voix, naviguant dans les méandres administratifs de l'Éducation nationale. RQTH, aménagement du poste de travail, allègement de service, médecin de prévention de l’inspection académique, service social... Autant de termes qui allaient devenir mon quotidien.

Dans cet article, je vous partage mon parcours et mes conseils pour tous les enseignants et enseigantes, du primaire au supérieur, qui se retrouvent confrontés à un problème de santé impactant leur carrière. 

Découvrez comment j'ai appris à jongler avec les subtilités de notre administration française, tout en préservant ma passion pour l'enseignement. Une chose est sûre : vous n'êtes pas seul(e) dans cette situation, et il existe des solutions !

Conseil 1 -  Faire ses premiers pas dans le parcours médical 

Mon médecin traitant m’a d’abord conseillé de consulter un ORL. Lors de cette visite, ce dernier a passé un tuyau dans mon nez pour examiner mes cordes vocales. Il m’a informée que j’avais des nodules, mais que ce n’était pas grave et qu’une intervention chirurgicale n’était pas nécessaire. Il m'a alors orientée vers une orthophoniste.

Je ne savais pas qu’il existait plusieurs spécialités chez les orthophonistes. J’ai dû en contacter plusieurs avant de trouver la perle rare : une orthophoniste spécialisée dans les troubles de la voix ! Lors de notre rendez-vous, qui a duré une heure, elle m’a expliqué le fonctionnement des cordes vocales, chose que j’ignorais complètement. Avec beaucoup de patience, de diplomatie et de calme, elle m’a expliqué ce qu’était le forçage vocal et comment, depuis des années, je malmenais ma voix.

Je suis sortie de cette consultation en colère, non seulement contre moi-même, mais aussi contre le monde entier. Pourquoi moi, qui adore mon métier, suis-je confrontée à cette problématique ? J’ai réalisé que c’était moi qui avais créé cette situation en abîmant avec application cette belle machine qui me permettait d’enseigner. Cette prise de conscience a été plus que difficile, mais nécessaire.

"Votre carrière de prof est terminée"

Malgré plusieurs séances de rééducation vocale : aucune amélioration. Mon orthophoniste m’a alors conseillé de consulter un phoniatre, un médecin spécialiste des cordes vocales. Décidément, j’apprenais beaucoup de choses ces derniers temps ! Il existait aussi une spécialité parmi les médecins ORL !  Après un examen différemment appelé laryngoscopie, le diagnostic a changé : ce n’était pas un nodule, mais un kyste qu’il fallait retirer chirurgicalement. Aucune rééducation vocale ne pourrait le résorber. Encore une fois, la nouvelle a été un choc.

J’ai donc pris rendez-vous avec un chirurgien phoniatre qui a retiré le kyste et découvert en dessous une vergeture, autrement dit une malformation congénitale de la corde vocale. Nous étions en avril 2011, j’enseignais depuis 2008. On m’a annoncé que ma carrière d’enseignante était terminée et que je devais trouver une nouvelle orientation professionnelle.

Soyez ouvert à l'idée de changer de spécialiste ou d'approche thérapeutique si nécessaire : ostéopathe, praticien Shiatsu, microkinésithérapie ; psycho bio acupressure (PBA), etc.

Préparez-vous à l'éventualité de devoir adapter votre vie professionnelle. Il peut parfois être nécessaire d'envisager une réorientation de carrière pour préserver sa santé (vocale). 

Une aide peut vous être apportée via la Proxi-RH. Il s’agit de conseiller, présent dans tous les CIO. Ils peuvent vous aider à vous lancer dans une réorientation professionnelle. Contactez votre RH et votre inspecteur pédagogique. Ils peuvent vous orienter vers ces dispositifs.

action !

Conseil 2 - Reconnaître ses limites : arrêtez de forcer !

J'ai toujours remis à plus tard l'arrêt maladie que le médecin me demandait de prendre. Les excuses ne manquaient jamais : "Non, il y a la sortie théâtre", "Non, je dois faire cette évaluation"... Chaque fois, je trouvais une raison de repousser le repos dont j'avais manifestement besoin. J’étais jeune, pleine de vie et d’enthousiasme… Rien ne pouvait m’atteindre !

Je me souviens particulièrement d'une journée où ma voix n'était qu'un filet rauque. Malgré la douleur qui me lançait dans la gorge, j'ai insisté pour donner mon cours. Il s’agissait d’un atelier théâtre que j’avais mis des heures à préparer ! J'ai passé deux heures à chuchoter et à grimacer, déterminée à ne pas laisser tomber mes élèves, qui s’amusaient beaucoup à s'entraîner à être comédien(ne). À la fin de la journée, je pouvais à peine parler, et la migraine qui m'assaillait était insupportable.

La culpabilité était mon compagnon constant. L'idée de laisser mes élèves sans professeur me hantait. L'agacement de ne pas pouvoir réaliser les activités que j'avais soigneusement préparées me rongeait. L'idée de les voir reportées ou annulées me pesait lourd sur le cœur. Savoir que je laisserai tomber mes collègues et que je serai peut-être jugée par mes pairs m’était insupportable…

Et puis, il y avait cette pression invisible mais omniprésente : les murmures et les jugements de la vox populi sur les profs absents. J'entendais déjà des commentaires comme "Encore un prof qui prend des vacances" ou "Ils sont toujours malades ceux-là". Même si je savais que ces réflexions étaient souvent infondées, elles pesaient sur ma conscience.

Tous ces facteurs m'ont poussée à ignorer les signaux d'alarme de mon corps. J'ai continué à forcer sur ma voix, jour après jour, semaine après semaine. Je buvais des litres de thé au miel, je suçais des pastilles pour la gorge, espérant que cela suffirait à me maintenir en état de… fonctionner.

Ce n'est que lorsque ma voix m'a complètement lâchée, me laissant quasi muette, que j'ai réalisé l'ampleur de mon erreur. L'arrêt forcé qui a suivi a été bien plus long et plus difficile que si j'avais écouté les premiers avertissements.

Pourtant, il est crucial de reconnaître ses limites et de ne pas forcer sa voix, surtout lorsqu'on enseigne. Écoutez votre corps : si votre voix est fatiguée ou douloureuse, reposez-la. N'attendez pas que la situation s'aggrave !

Rappelez-vous que prendre soin de votre santé n'est pas un luxe, c'est une nécessité. Non seulement pour vous, mais aussi pour vos élèves qui ont besoin d'un enseignant en bonne santé sur le long terme.

action !

Conseil 3  - Naviguer dans le système : RQTH, temps partiel et aménagements

Quelques mois après mon opération et ma rééducation, je me retrouve dans la nécessité de solliciter un emploi du temps adapté à ma pathologie. La réorientation professionnelle n'étant pas envisagée dans l'immédiat, il est crucial de trouver des solutions pour continuer à enseigner sans compromettre ma voix.

Mes demandes sont claires pour la rentrée prochaine : commencer à 9 heures pour avoir le temps d'effectuer mes exercices vocaux, ne pas enseigner plus de 2 heures consécutives, et bénéficier d'une pause en milieu de semaine. 

La réponse de ma cheffe est sans appel : elle m'informe qu'elle ne peut pas accéder à mes demandes et ajoute que si je suis handicapée, il me faut en faire la demande officielle. “Handicapée”, le mot me terrifie, me bouleverse, me paralyse… Être considérée comme handicapée à moins de 30 ans est une réalité difficile à accepter.

Être reconnue comme "handicapée"

Ma phoniatre valide ce mot… Je me lance alors dans un parcours administratif auprès de la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées) pour obtenir la fameuse RQTH (Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé). Le défi se présente rapidement : il me faut l'avis d'un médecin du travail. 

Or, à l'Éducation nationale, nous avons des médecins de prévention, mais pas de médecins du travail, ce qui complique les choses ! J’ai donc contacté la médecin de prévention au service social du rectorat de mon département pour lui expliquer la situation. Elle m’a rédigé un document pour la MDPH. Il n’avait rien d’officiel, mais il m’aura bien aidé pour constituer mon dossier.

Après de nombreuses démarches et quelques obstacles administratifs, j'obtiens finalement ma RQTH. Je soumets ma demande d'aménagement à la RH (désormais via Colibris). La procédure est expliquée une fois par an dans le BIR. Vous pouvez vous rapprocher de votre secrétaire pour qu’elle vous explique les démarches. Les demandes sont à formuler avant janvier pour la rentrée scolaire suivante.

J’ai obtenu l’accord pour un emploi du temps adapté, qui est respecté de manière variable selon les années, ainsi qu'un allègement de service. Je travaillais 15 heures, tout en étant rémunérée pour 18 heures. C'est une solution appréciable, bien que temporaire. L'allégement de service ne peut, en principe, pas être reconduit plus de 3 ans.

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Conseil 4 -  Transformer l’obligation en force : s'adapter

Ma phoniatre m'a conseillé de travailler avec un micro. Pendant de longues années, j'ai refusé. J'avais honte de porter cet appareil devant mes élèves et mes collègues. Je craignais de perdre le contrôle de ma classe. Que ferais-je si les élèves se moquaient de moi à cause de ce "machin" d'hôtesse de l’air ?

Puis, le kyste est revenu, nécessitant une seconde opération… Avec la pandémie de Covid et l'obligation de porter des masques en classe, je n'ai pas eu d'autre choix que d'utiliser le micro en permanence. Cet appareil fait partie des nombreux aménagements matériels que l'on peut demander via le dispositif d'aménagement du poste de travail.

J'ai également pu obtenir un tableau blanc, un vrai luxe à l'époque où les tableaux à craie dominaient encore les établissements. J'ai aussi bénéficié d'une salle non réverbérante et insonorisée : une petite salle éloignée de toute source de bruit. Au début, c'était difficile. Je me sentais isolée, à l'autre bout du collège, loin de mes collègues de français.

L'utilisation du micro, une étape délicate

J'ai essuyé des rires et des plaisanteries de la part de mes collègues. Bien que non malveillants, ces commentaires me touchaient profondément, car ce handicap a longtemps été mon talon d'Achille. Chaque regard insistant de la part de ma direction était également difficile à supporter. Mon handicap étant invisible, il est parfois compliqué pour les autres de le percevoir. On ne réalise pas toujours l'effort que je dois fournir pour parler.

J'ai donc choisi de communiquer ouvertement. Ce handicap que je cachais auparavant, j'ai décidé d'en être fière. J'ai expliqué la situation à mes élèves de manière simple et claire, et ils l'ont rapidement accepté sans problème. Chaque collègue qui s'interrogeait a reçu une réponse. 

Quant à cette salle, j'en ai fait ma force. Je l'ai aménagée pour qu'elle réponde à mes besoins. Étant à l'autre bout du collège, je peux utiliser l'espace extérieur sans déranger personne. Je ne suis pas gênée par les déplacements des autres élèves dans les couloirs. Je me suis totalement approprié cet espace. 

En parallèle, j'ai cherché des groupes de soutien pour partager mon expérience et trouver du réconfort, mais je n'ai pas réussi à en trouver spécifiquement pour les enseignants en situation de handicap. Cela m'a montré l'importance de créer un réseau de soutien, même informel, avec des collègues ou des amis. Partager nos défis et nos réussites peut alléger le fardeau et encourager d'autres à faire de même.

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Aujourd’hui, je m’amuse beaucoup avec mon partenaire le micro magique ! Je fais peur à mes élèves ou je les fais rire avec des bruits bizarres, en salle des profs, je joue à faire des sons pour mettre un peu d’ambiance.

Conseil 5 - Apprivoiser les moulins à vent 

Un jour où j'étais complètement déprimée dans le bureau de ma CPE, sans voix, en difficulté avec un élève et incapable de comprendre comment l'aider, elle m'a montré une image accrochée au mur, celle de Don Quichotte combattant des moulins à vent. Elle a pris le temps de m'expliquer la signification de ce dessin, et que je devais cesser de lutter contre des obstacles insurmontables et apprendre à accepter mes limites. 

Ce fut un déclic, le premier pas vers la compréhension et l'acceptation de mon handicap. J'ai réalisé que je ne pouvais pas sauver tous mes élèves et qu'il était essentiel de lâcher prise, une notion qui m'était jusqu'alors étrangère.

Ma CPE m'a accompagnée dans chaque détail important de ma carrière. Elle m’a enseigné comment ménager ma voix, comment trouver des stratégies pour aider mes élèves efficacement, et comment exercer mon métier avec plus de sérénité. 

Sa sagesse et son soutien continuent d'éclairer mon chemin. J'ai compris que je ne pourrais jamais surmonter ce handicap sans aide, sans un réseau de soutien sur lequel m'appuyer. Le partage et la collaboration sont devenus essentiels pour dépasser mes limites. 

J'ai donc commencé à explorer des idées pédagogiques sur Internet, cherchant des moyens d'adapter mon handicap à mon métier.

 J'ai découvert des techniques et des outils qui m'ont permis de réduire la sollicitation de ma voix tout en maintenant un enseignement de qualité. 

Cette quête d'adaptation m'a ouvert de nouvelles perspectives et m'a permis de transformer un défi personnel en une opportunité d'innovation pédagogique.

action !

Je vous ai tout partagé sur mon expérience, et j'espère sincèrement que ces conseils et réflexions vous seront utiles dans votre propre parcours. Enseigner avec un handicap peut sembler impossible, mais avec les bons outils et un réseau de soutien, nous pouvons transformer ces défis en opportunités d'innovation. 

N'oubliez pas que vous n'êtes pas seul(e) dans cette aventure, que vous êtes fort(e) et que chaque initiative que nous prenons contribue à enrichir notre pratique pédagogique : “seul, on va plus vite, ensemble, on va plus loin.”

 

Sophie Defour, professeure de lettres modernes depuis 2008

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