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“On ne peut pas faire ça aux élèves !”
Cette phrase incarne le dilemme quotidien des profs, entre dévouement pour les élèves et conditions de travail souvent éprouvantes. Ce constat est d’ailleurs partagé par la plupart des métiers du care, dans les domaines de la santé ou le médico-social.
Ces professions, centrées sur le soin et l’accompagnement, donnent non seulement du sens à la vie de ceux qui les exercent, mais elles transforment aussi celles des personnes accompagnées et jouent un rôle crucial pour la société tout entière.
Sauf qu’à trop souvent insister sur la gratification intrinsèque de ces métiers, on a négligé d’autres aspects tout aussi essentiels : valorisation sociale, reconnaissance salariale et conditions de travail dignes. Résultat : un épuisement croissant et une crise de recrutement alarmante.
C’est pourquoi il devient impératif d’apprendre à se protéger, à déculpabiliser, et à adopter quelques réflexes pour ne pas craquer.
Lors de ma première année d’enseignement, j’avais été particulièrement interpellé par un collègue qui arrivait chaque matin au lycée à 8 heures et repartait chaque soir à 18 heures, même lorsqu’il n’avait pas cours en première ou dernière heure de la journée. Il hantait la salle des profs et le labo d’histoire, préparant ses cours uniquement de manière manuscrite.
Alors que je l’interrogeais sur cette organisation qui me semblait surprenante, il m’avait répondu simplement : “Cela me permet de laisser mon travail sur mon lieu de travail et de ne pas sacrifier ma vie de famille”. Ce qui m’avait paru original en début de carrière a finalement pris tout son sens après quelques années d’expériences.
Certes, “quand on aime, on ne compte pas". Mais ne dit-on pas aussi que “les bons comptes font les bons amis” ? Or, cette contradiction est omniprésente dans le quotidien d’un enseignant. D’un côté, on est parfois prêt à consacrer des heures à préparer une seule séance ; de l’autre, on croule souvent sous la charge que représentent les réunions, temps de coordination, gestion des espaces numériques de travail, et rédactions de rapports divers et variés.
Dans un métier qui ne s’arrête jamais vraiment (des soirées à préparer un cours aux nuits blanches de corrections), il est crucial de savoir dire stop et de se rappeler que, légalement, le temps de travail hebdomadaire en France est de 35 heures.
Ces stratégies ne sont pas un luxe, ni une forme de désinvestissement, mais une nécessité pour préserver votre équilibre.
Lors des formations que j’anime sur la différenciation pédagogique, l’un des principaux freins avancés par les collègues concerne la charge de travail induite par ce qui apparaît souvent comme une injonction irréalisable.
Depuis quelques années, les avancées législatives en faveur d’une école plus inclusive ont permis de renforcer les droits des élèves en situation de handicap. Les parents peuvent désormais faire valoir un droit opposable à la scolarisation, ce qui constitue une avancée indéniable.
Cependant, dans les faits, les conditions nécessaires pour mettre en œuvre ces dispositifs sont souvent insuffisantes : manque d’accompagnants, classes surchargées, matériel inadapté… Dans certains cas, ces lacunes peuvent même compromettre la sécurité des élèves.
Cette situation génère une souffrance collective :
“Monsieur, vous croyez qu’on pourrait organiser un devoir rattrapage ?”
Depuis quelques années, l’évaluation est devenue un sujet de tension croissant dans le système scolaire. Cette situation s’explique en grande partie par le rôle toujours plus déterminant des notes dans l’orientation des élèves.
Cette importance accrue a entraîné une multiplication des revendications de la part des élèves et de leurs parents qui attendent désormais des enseignants qu’ils justifient chaque point attribué. De plus, lorsque les résultats ne répondent pas aux attentes, il n’est pas rare qu’une négociation plus ou moins contraignante apparaisse, nuisant à la relation pédagogique et au sens même de l’évaluation sommative au profit de “notes du bonheur”.
En classe, ces dynamiques ont conduit à une inflation du temps de correction, aggravée par l’augmentation du nombre d’élèves par classe. Cette charge est considérable : si l’on évalue à 15 minutes le temps nécessaire pour corriger une copie, pour une classe de 35 élèves, avec 3 évaluations par trimestre, cela représente près de 26 heures de correction par trimestre pour une seule classe !
Ce temps de correction est souvent ignoré par ceux qui ne connaissent pas les rouages du métier et par les élèves eux-mêmes qui réalisent rarement le temps consacré à cette mission qui constitue pourtant l'une des principales composantes du temps de travail des enseignants, interrogeant la durabilité du modèle évaluatif actuel.
Comme j’ai déjà eu l’occasion de le raconter dans l’ouvrage Bienvenue dans ma classe, ma première renonciation en tant qu’enseignant est survenue lors d’un repas de famille face à mon père qui ramenait pour la énième fois la discussion sur mon métier… aux vacances. Ce sujet revient sans cesse dans les discussions pour pointer du doigt un prétendu privilège des enseignants. Pourtant, cette réalité mérite d’être nuancée.
En moyenne, les enseignants consacrent 35 jours de travail à leurs tâches professionnelles pendant les vacances, ce qui réduit considérablement cet avantage apparent. Par ailleurs, nous ne bénéficions pas de RTT, ce qui rend la situation globalement comparable à d'autres professions. Chaque année, nous devons composer avec un nouvel emploi du temps, chamboulant souvent l’organisation familiale. Trouver une solution pour la garde des enfants ou programmer un rendez-vous médical à l’avance devient un casse-tête, particulièrement en septembre.
De plus, les conditions matérielles sont souvent précaires. Malgré la prime d’équipement informatique de 150€ mise en place après la crise sanitaire, ce montant reste bien en deçà des besoins réels : ordinateur, imprimante, papier, encre et connexion Internet sont toujours largement à notre charge.
Le télétravail, plébiscité dans de nombreux secteurs, est évidemment impossible dans notre métier. Les enseignants doivent souvent accepter des affectations à des dizaines, voire des centaines de kilomètres de leur domicile, sans bénéficier des avantages financiers courants comme un 13ᵉ mois ou des salaires comparables au secteur privé pour un niveau de diplôme équivalent.
Les frais professionnels sont souvent remboursés avec un retard important, et aucune initiative de cohésion ou de bien-être, telles que celles pratiquées en entreprise ou dans d'autres systèmes éducatifs européens, n’est mise en place.
Ajoutons à cela la quasi-absence de médecine du travail, la raréfaction des temps de concertation et des réunions décalées sur notre temps personnel, sans même parler des formations dénuées d’un simple geste de convivialité, comme un café d’accueil.
L’idée de cette liste, non exhaustive, n’est évidemment pas de remettre en cause les conditions matérielles d’autres professions, mais simplement de relativiser le sentiment de culpabilité de certains collègues lorsqu’on essaie de leur faire croire qu’ils sont privilégiés.
Avez-vous déjà rencontré un collègue qui ait choisi ce métier pour les copies à corriger, les rapports à compléter ou encore les réunions en soirée ? Bien sûr que non ! Le cœur de notre engagement dans l’enseignement repose sur des motivations altruistes, comme l’ont démontré Jean-Louis Berger et Yannick D’Ascoli dans la Revue française de pédagogie (2011).
Ces motivations incluent le désir de travailler avec des enfants ou des adolescents, de les aider à réussir et de contribuer à l’amélioration de la société. Pourtant, ce fondement essentiel de notre métier est souvent relégué au second plan par la charge croissante des tâches administratives. Cette surcharge diminue notre disponibilité pour nos élèves et alimente un sentiment de malaise chez de nombreux enseignants, parfois jusqu’à la démission ou la reconversion.
Dans ce contexte, il est crucial de ne pas perdre de vue ce qui donne tout son sens à notre profession : la richesse de la relation humaine. C’est dans ces liens que nous trouvons satisfaction et motivation, tant avec nos élèves qu’avec nos collègues.
En apprenant à déculpabiliser et à se protéger, nous ne faisons pas que préserver notre équilibre personnel : nous renforçons aussi notre capacité à offrir un accompagnement de qualité, durable et humain, au service des élèves et de la société.
Mickaël Bertrand, professeur d'histoire, géographie et EMC en lycée et en milieu carcéral depuis 16 ans
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