Accueillir est un ensemble d'intentions transformées en attentions. Accueillir, c'est à la fois faire une place (donc aménager l'espace) et prendre le temps (donc l'aménager). Quelles sont ces dispositions prises, dans nos établissements, pour prendre du temps et aménager l'espace de telle sorte que l'arrivant(e) se sente accueilli(e) ?

Si accueillir c'est dire à celui qui arrive quelque chose de ce que l'on attend de lui, ne rien faire c'est lui asséner un silence qui ne permet la construction d'aucun repère. Au programme et aux numéros de salle près...

Accueillir est donc un état d'esprit. Mais pas strictement individuel, c'est un « état d'esprit collectif », une « culture d'établissement » en quelque sorte. Que l'on crée ou pas, que l'on développe ou pas.

Être ou ne pas être...accueilli(e)

On est toujours moins perdu lorsque l'on est plusieurs. Si l'enseignant(e) plus ou moins expérimenté(e) à déjà au moins ses propres repères (quitte à devoir déplacer les curseurs en arrivant dans un nouvel établissement), celui ou celle dont c'est la première prise de fonction ne peut que s'interroger. Sur « comment cela va se passer », sur les « bons » réflexes qu'il ou elle aura...ou pas, mais aussi sur les modalités de l'indispensable échange d'avec ses collègues de la fameuse « communauté pédagogique ».

A la question « Qu’est-ce cela représente de débuter comme enseignant ? », il est répondu (avec à mon avis beaucoup de justesse) (1) : « Sans aucun doute, d’avoir affaire à de nombreuses injonctions paradoxales.../...transmettre des savoirs et accompagner des apprentissages, conduire un groupe-classe et se soucier de chaque élève, s’occuper de ses cours et de ses classes et participer à une dynamique d’équipe, vouloir le plaisir des élèves et les guider vers ce que les programmes attendent d’eux.../... ».

"Être accueilli(e), c'est donc se sentir accepté, positionné, mis en confiance tout autant que mis à l'épreuve." 

Plus que verbaliser un « Bienvenue » plus ou moins formel, accueillir est donc la capacité (collective) à laisser penser que l'arrivant(e) n'est pas seul(e). D'ailleurs, on parle de réserver un accueil, ce qui laisse entendre qu'on a besoin d'un peu d'anticipation.

Car au-delà de l'accueil stricto sensu, il y a le quotidien. Les repères que l'on a ou pas pour aborder les – inévitables – difficultés seul(e) ou pas. C'est à la fois évident et mal dit : enseigner, c'est être seul(e). S'il y a un point commun à toutes les ressources que l'on trouve, c'est de positionner le métier d'enseignant comme une pratique solitaire. Bien sûr il y a les institutions, les manuels, les « bons conseils ». Sans oublier la somme de notes prises durant les formations ou cycles d'étude. Mais étrangement, « Ca ne marche pas bien », voire pas du tout. Et l'IGEN, dans un rapport (2) sur l'évaluation des enseignants, ne dit pas autre chose en spécifiant que « L’inspection ../.. donnent la possibilité à l’enseignant, qui travaille « en vase clos » ../.., de « réduire sa solitude » (Enquête DGRH) en lui apportant un regard extérieur. Ils offrent l’occasion d’un échange entre professionnels, quasiment des pairs, et, pour l’enseignant, de faire le point sur ses pratiques et sur ses besoins de formation. »

Être ou ne pas être accueilli(e), c'est ressentir que l'on sera (ou pas) durablement seul(e) dans une fonction ou cette solitude est restituée comme une manière de normalité. Je connais nombre de perspectives moins anxiogènes.

« Ressources », vous avez dit « Ressources » ?

Le collectif comme outil, et non comme repose-pieds.

Et si l'importance de l'accueil ne concernait que les enseignants débutants, j'en connais qui seraient ra-vi(e)s. En l'absence d'accueil, on cherche à remplacer. Remplacer, en allemand, nous a donné l'ersatz (ersatz vient du verbe allemand ersetzen qui signifie « remplacer »), avec sa connotation de succédané voire de placebo.

Le remplacant ? C'est la ressource, documentaire ou audio-visuelle, qui procure la possibilité d'être explorée seul(e) et qui s'affranchit du lien social. C'est d'autant plus pratique quand il ne vous en est pas proposé, de cet indispensable lien social.

Mais...la ressource documentaire comme remplacant de l'échange entre professionnel : Vraiment ? Parce que des guides, des références, des conseils, des vade-mecum, des retours d'expérience...il y a pléthore (3). Et la question se pose : une bibliothèque suffit-elle à construire un savoir-faire qui nécessite un savoir-être lorsque (pour citer Arthur RIMBAUD) « Je est un autre » (N'y a-t-il pas chez chacun(e) de nous un prof réel ou imaginaire auquel on cherche à ressembler...et qui me coupe de la réalité ?). Sans compter qu'à force de me questionner sur ce que je dois exprimer ou ne pas exprimer, entre Moi et l'Enseignant je ne sais plus trop bien qui est qui. Le meilleur des centres de documentation n'est qu'une addition d'objets, et moi je suis sujet.

Est-il vraiment raisonnable d'envisager qu'une prise de fonction puisse s'effectuer sans que la structure d'accueil ne joue son rôle d'accueillante ? Non bien sûr.

Ce qui revient à dire que de la qualité de l'accueil faite aux arrivant(e)s dépend de la facilité avec laquelle ils prendront leurs fonctions. Quel que soit le volume de ressources dont ils disposent. Les ressources sont un moyen, un outil, pas une façon de faire société.

La fin et les moyens

La communauté est un tissu qui se tisse avec autre chose que des procédures. Je suis enseignant : à quel moment, dans quel endroit, avec quel(le) interlocuteur/trice puis-je prendre le temps de suspendre le Temps, hors hiérarchie, hors jugements et à l'abri des rumeurs qui font Radio-Moquette et défont la confiance en soi ?

Quel est cet espace-temps permettant à l'enseignant(e) (débutant ou non, d'ailleurs) d'exprimer en tâtonnant à la fois ses peurs, ses doutes, ses idées directrices et ses interrogations ? Merci de ne pas évoquer ces réunions institutionnelles nommées « réunions pédagogiques » dont l'utilité est au mieux aléatoire ou ces « Projets d'Etablissements » dont la traduction concrète ne s'immisce que rarement dans l'accompagnement de la résolution des difficultés quotidiennes des enseignant(e)s.

Il se pourrait donc que, au même titre que le premier pas de toute gestion des ressources humaines est le recrutement, le premier pilier permettant à l'enseignant de se situer dans son métier (et donc à l'établissement d'accompagner sa professionnalisation ou son évolution) est l'accueil qui lui est fait à son arrivée. Les moyens mis en place pour accueillir ne déterminent-ils pas à la fois la qualité de l'accueil (au moins en témoignant d'une intention) et l'objectif poursuivi (faciliter l'intégration et/ou la prise de fonction).

Mais on peut le dire autrement : que penser d'une procédure d'accueil qui vous réduit à une participation silencieuse à une réunion de pré-rentrée suivie de (ou introduite par) un café-croissant passé à spécifier son âge, sa situation maritale, son dernier diplôme obtenu ou ses rêves pédagogiques inavoués ? A supposer bien sûr que l'on vous adresse la parole avec autre chose que « Alors c'est toi le nouveau prof de maths ? Hé bien bon courage !».

De l'intention aux actes

Qui a déjà proposé quoi ?

Alors, quelles sont ces dispositions accueillantes qui favoriseraient l'intégration (donc le bien-être au travail), l'échange (donc la professionnalisation) et le collectif (donc l'efficacité générale) ? Tel que l'administration l'envisage (4)(5), l'accueil d'un enseignant revêt une forme qu'à minima on va considérer comme très « formelle » et parfaitement dépourvue de toute forme de logique d'intégraton in situ. Il s'agit de répartir des modules et des salles selon un emploi du temps : intégrer serait donc entendu de façon passablement taylorienne. Mais sans doute est-ce difficile de procédurer une manière d'être collective. Aux antipodes, la Chine propose un tutorat entre enseignants (6) favorisant à la fois transmission et apprentissages.

Plus près de nous, le CRAP propose de créer un collectif d'accueil (7), le DAANE (Dispositif d'Accueil et d'Accompagnement des Nouveaux Enseignants) à destination des nouveaux enseignants et/ou des collègues nouvellement affectés. L'initiative a notamment été prise à la suite d'un constat de turn-over mais aussi de mal-être au travail. Que cet établissement travaille en REP+ n'est pas anodin. Travail d'échange, support vidéo, retours d'expériences, l'initiative a surtout abouti à mesurer la travail qui restait à réaliser : « Mélange de doutes et de perspectives, le dispositif a permis aujourd’hui de constituer un collectif d’enseignants prêts à s’engager dans l’évolution de leurs pratiques pour pouvoir supporter ce qui est parfois insupportable dans le travail en établissement REP+. ».

En d'autres termes, il est essentiel de maintenir et développer ce dispositif (soutenu par la direction de l'établissement). Il existe d'autres initiatives, et en particulier cette plate forme dédiée aux nouveaux enseignants ( et formateurs) de l'éducation nationale (8) et dont le premier objectif est de partager et faire partager ressources et réflexions, entre nouveaux arrivants en particulier.

Et la faisabilité ?

Qui veut gravir une montagne commence par le bas, et par faire un premier pas.

Comme l'exprime très bien cet article (9), dès l'instant où la notion d'équipe pédagogique prend un sens fonctionnel et collaboratif se pose au gestionnaire d'établissement un choix entre ce qu'il a à perdre (prise de risque, remise en question del'ordre administratif, ré-allocation de ressources ou demande de ressources nouvelles) et ce qu'il a à gagner (souplesse, innovation, fluidité dans l'adaptation).

Entre professionnalisation dans une relation de pair à pair et stratégies pédagogiques livrées « clés en main » après avoir été pensées par des « spécialistes », c'est sans doute le regard que le gestionnaire portera sur le potentiel de l'établissement et la dimension fédératrice de l'initiative qui, finalement, déterminera la « marge de manoeuvre » offerte à une initiative de coopération structurée.

Coopérer, et en particulier coopérer pour proposer un environnement accueillant peut être porteur de valeur, mais c'est surtout une façon de travailler mieux parce que de façon concertée dans la perspective d'un intérêt général. Ce qui laisse quand même penser que coppérer de façon utile, c'est aussi savoir refuser une coopération « par principe ». Pour reprendre l'expression utilisée par Monica Gather Thurler et Philippe Perrenoud (10), il s'agit d'avoir un rapport utilitariste avec la coopération : ne pas en faire un principe sacré mais la penser lorsqu'elle permet de mieux faire ce qu'auparavant on ferait seul(e) et avec moins d'efficacité.

Donc, la première question à (se) poser est peut-être celle du regard posé par l'ensemble des personnels présents sur l'accueil de nouveaux(elles) arrivant(e)s. Mesurer si cet accueil est collectivement perçu comme un enjeu fort et une piste d'amélioration avérée pourrait être le premier petit pas vers une évolution concertée des pratiques. Et on peut pour finir méditer sur cette phrase : « Ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous n'osons pas, c'est parce que nous n'osons pas qu'elles sont difficiles » disait Sénèque.

Références

(1) : http://www.cahiers-pedagogiques.com/Se-rendre-compte-que-ce-n-est-facile-pour-personne-mais-que-cela-peut-devenir-agreable-en-reflechissant-a-plusieurs

(2) http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/134000485.pdf

(3) http://www.pearltrees.com/yaelboublil/debuter-enseignant/id7245728

(4) http://www.ac-orleans-tours.fr/fileadmin/user_upload/ia28/doc_admin/formation/Accueillir_un_enseignant_stagiaire.pdf

(5)http://cache.media.education.gouv.fr/file/Enseignants_1er_degre/33/0/Livret_d_accueil_PFSE_sept_2016_649330.pdf

(6) https://www.innoedulab.com/single-post/2018/02/12/Le-travail-collaboratif-des-enseignants-chinois-en-math%C3%A9matiques

(7) http://www.cahiers-pedagogiques.com/Constituer-un-collectif-d-accueil-des-nouveaux-enseignants#nb1

(8) http://neo.ens-lyon.fr/neo

(9)https://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_1993/1993_13.html

(10)https://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2005/2005_13.html

(11) https://fpcssmi.weebly.com/uploads/1/2/8/2/12826273/guideaccueilenseignants-18novembre2015.pdf