Quand j’ai allumé cette chaîne info ce matin-là, je ne pensais pas que cette annonce bouleverserait autant mon existence et mon aven… Bon, j’arrête. Inutile de faire un teasing digne de la saison finale de Game Of Thrones : nous savions tous que le Ministre allait saisir le sceptre du Contrôle Continu et l’agiter sous nos yeux. Y avait-il réellement une autre solution ? Je pose la question.

Et puis y a-t-il vraiment une solution ultime et globalement bienveillante ? 

Le contrôle continu allait éviter le stress d’un examen moins bien préparé, avec des derniers mois de télé-enseignement à efficacités diverses. Finies l’antidiarrhéique de la veille et les antisèches dans la montre connectée. Finies aussi les convocations enseignantes à Brétigny-sur-Orge, bourgade sympathique mais située à 45 kilomètres du bahut. Finies aussi les disparités des enseignants face à la correction. Mais ça pourrait faire l’objet d’une prochaine chronique…

Je notais les différentes annonces et j’éteignais la télé. Me postant dans le silence le plus complet. Dans l’attente. Deux minutes. Cinq minutes. Une heure.

Rien.
 

Mes élèves ne suivaient pas les actualités matinales. J’en avais désormais la preuve. Il allait falloir attendre qu’une blonde peroxydée vantant les mérites d’une opération de chirurgie mammaire l’annonce sur sa chaîne Insta pour que la nouvelle se répande. À moins que je ne prenne les devants.

S'inspirer de la classe inversée pour assurer la continuité pédagogique

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J’écrivis donc un joli mail pour annoncer à mes deux classes d’examen (Première Bac Pro, donc certification intermédiaire) que l’examen final risquait fortement d’être annulé (à noter la formule laissant une porte de sortie éventuelle), le contrôle continu tout ça tout ça, les notes du confinement qui ne comptaient pas nani nana…

Deux minutes. 

Cinq.

« M’sieur, si j’ai bien tout compris, le contrôle continu, c’est la moyenne que j’ai avec vous depuis le début de l’année ? Mais j’ai 5. Comment je fais ? Je peux faire des notes là ?

Et oui. On avait le premier cas, dit “du réveil douloureux” : se réveille d’un doux songe de six mois, se disant jadis qu’il donnerait tout le jour de l’examen. Le pire ? Parfois ça marchait en plus. Donc toute l’année, je n’avais vu que sa nuque. Ou le sommet de son crâne quand il finissait ses nuits au fond de la classe. «  Le BEP, c’est de l’eau ». Collapsus du système respiratoire.
Ils me regardaient tous avec des yeux humides à travers leurs écrans, me transformant en Pamela Anderson Pédagogique. 

Mais que répondre ? 

Ah, les notes du confinement. Ah mais oui mais non : je peux pas les compter. Bien sûr que la plupart joue le jeu, et j’ai eu des copies fantastiques. Vraiment. 
Mais voilà je ne peux pas évaluer à sa juste valeur la copie de la maman d’Enzo, qui a visiblement une vision très intéressante de la mondialisation. Faudra vraiment en parler à la réunion de parents. Comme à la sœur de Lucie, qui a casé le mot idoine dans sa copie. Je ne savais déjà pas que Lucie connaissait le mot iguane. Sans parler des copies faites à plusieurs, sorte de melting pot cérébral de la moitié de la classe. 

Non ce n’était pas possible, je voulais bien être bienveillant, mais je ne voulais pas pénaliser les élèves l’ayant fait seuls ou n’ayant pas d’ordinateur pour consulter la banque centrale des sujets d’examen.

« Alors on fait comment, on revient et vous notez, faut que vous me notiez là ! »

C’était la première fois qu’on me suppliait autant de noter. 
LA NOTE OU LA MORT. La sentence est irrévocable, Denis. Pardon Killian. Alors oui, on allait noter. Si possible puisque le mois de juin venait brusquement d’être reconquis.
Je m’imaginais déjà en train d’évaluer mes chers bambins par cette jolie chaleur caniculaire. Surtout que le Ministre avait bien annoncé « Présence obligatoire jusqu’au 4 juillet ! »

« Monsieur, même on peut rester plus hein. Moi suis libre tout le mois hein ! »

Qu’il est mignon.

Choupinou.
 

Donc prévoir deux gros ventilateurs, des boissons fraîches et des granitas pour l’évaluation finale du 1er juillet. À côté, le supplice de Tantale, c’est DisneyLand Paris. 

Une heure. Un jour. Une semaine

Où étaient mes autres enfants perdus ? 

Si j’étais visiblement harcelé par une partie de la classe, d’autres, visiblement, erraient dans les limbes de la victoire. Pour cause : ils avaient obtenu l’examen début avril. Après une fête confinée, mais conséquente le soir même ; ils avaient bien entendu décidé que l’école à distance, c’était bel et bien du passé. On s’envole, on s’envole… On s’en fout !

« M’sieur j’vous aime bien attention, mais j’ai 15 de moyenne avec vous et là, les notes elles comptent pas. Je préfère me concentrer sur Fortnite et faire de réel progrès ! » 

Au moins, il m’aimait bien. Point positif. Je me rendais bien compte que malgré mon énergie débordante et mon envie de proposer des exercices ludiques et interactifs, je ne trouvais plus grâce à leurs yeux. En plus la plateforme Mickey+ venait de faire son apparition, sonnant le glas du roman que je leur avais demandé de lire. 

Mickey avait tué le game. 

En fermant les yeux, en mode projection astrale, je me voyais déjà, en haut de l’affiche. 
Avec, devant moi à gauche, des élèves en tongs et serviette, ayant glissé leur stylo dans leur calbut’, attendant patiemment le tintement de la sonnerie pour courir sur les grèves, surfant sur les vagues du succès. Et à droite, les stakhanovistes de fin d’année, suant l’évaluation à la sueur de leur front, jurant père et mère. Qu’ils avaient compris la leçon. J’étais en mode La Fontaine. 

«  M’sieur, je peux vous raconter tout le livre moi si vous voulez hein, ça compte, ça compte pour la moyenne si je raconte… »

Pfffff. Vivement qu’on rentre. 

Vivement.

Frédéric Lapraz 
Dit « Monsieur Z »
Sévissant sur FB Zarp In Lep et Insta @Zarpinlep

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