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Théorique Pratique

Installer une communication efficiente avec les parents au service des apprentissages

Nathalie Dreyfus
13 juillet 2021 20:04
10 mn

1. L' histoire des relations entre familles et enseignants  

Quelques repères donc pour comprendre la construction idéologique de cette relation complexe entre familles et enseignants. Pour commencer, la IIIe République des années 1880 décrète la nécessité d’un enseignement conçu comme une « instruction publique ». Son unicité permet de soustraire les enfants à l’influence de l’Église, des parents et du milieu familial et local. « Seul l’État a le droit d’enseigner » selon Jules Ferry. 

Le philosophe Alain développe les raisons qui, d’après lui, légitiment ce droit :  

  • « L’école est faite pour libérer les enfants de l’amour de leurs parents. »
  • « La famille instruit mal et éduque mal. »
  • « Tout comme leurs ancêtres de la Révolution française, les réformateurs de 1881 considèrent que les parents sont en majorité des ignorants acquis aux superstitions et aux préjugés obscurantistes. »
  • « Le père de la sociologie » Émile Durkheim participe lui aussi fortement au développement de cette « idéologie » en affirmant notamment que « l’école est une chose sérieuse confiée aux instituteurs qui sont éclairés par la raison tandis que les parents, et plus particulièrement les mères, sont manipulés par les forces obscures de la religion. »


On voit bien la défiance inscrite dans cette idéologie – défiance inscrite dont il faut se défaire. La méfiance, la défiance, si ce n’est le rejet des familles par l’institution – présents dans les textes cités précédemment – sont remplacés entre les deux guerres par une série de conseils pratiques dont les principaux sont ainsi rédigés :  

  • « Garder avec les familles un contact indispensable. »
  • « C’est une véritable collaboration qui doit s’établir entre le père de famille et le maître pour l’éducation de l’enfant. Le maître ne saurait donc considérer qu’il a achevé sa tâche à quatre heures de l’après-midi. »
  • « Un père a le droit de savoir ce que son enfant fait à l’école et un instituteur doit éprouver le besoin d’appuyer son autorité sur celle du chef de famille. »
  • « Nulle meilleure façon de dissiper les préjugés qui règnent parfois entre les maîtres et les familles que de faire naître entre eux des liens de confiance mutuelle et de sympathie. »

 

Une période de transition qui redonne sa place aux parents pour aboutir à la coéducation

Aujourd’hui, c’est la loi du 8 juillet 2013 qui reconnaît et valorise fortement le partenariat avec les parents. Elle promeut le concept de coéducation comme « un des principaux leviers de la refondation de l’école ».
Pour ne pas rester sur le registre des déclarations, elle précise les points importants et structurants de la mise en œuvre de cette coopération :  

  • « Elle [la coopération] doit se concrétiser par une participation accrue des parents à l’action éducative dans l’intérêt de la réussite de tous les enfants. »
  • « Il convient de veiller à associer tous les parents au projet éducatif de l’école et de l’établissement. »
  • « Des actions seront construites au niveau de l’école et de l’établissement pour renforcer les parents et leurs associations. »
  • « Les parents seront associés aux parcours individuels d’information et de découverte du monde économique et professionnel. »
  • « Il est décidé à titre expérimental que la décision d’orientation en fin de troisième appartiendra aux parents. »
  • « Il s’agit d’accorder une attention particulière aux parents les plus éloignés de l’institution scolaire par des dispositifs innovants et adaptés. »
  • « Le directeur d’école ou le chef d’établissement associe les parents à la mise en place de dispositifs d’aide et d’accompagnement des élèves. »
  • « Il est prévu dans tous les établissements scolaires un espace à l’usage des parents et de leurs délégués. »
  • « L’école doit assurer conjointement avec les familles l’enseignement moral et civique. »
     

Quelles sont les traces de cette histoire ? Une défiance a priori dont il est difficile de se défaire. Selon des études, chacun des partenaires (école/famille) est tenté de rejeter la faute sur l’autre en cas de problèmes scolaires ou de comportement. Ainsi les parents des classes populaires sont perçus comme démissionnaires ou incapables, ceux des classes favorisées sont perçus comme porteurs d’un « consumérisme individualiste ». On voit bien que dans cette posture de départ, implicitement, inconsciemment, s’imprime une défiance dont plus personne ne maîtrise les soubassements...  

Aujourd’hui la coéducation est en construction, des réussites sur le terrain le montrent. Pour y parvenir, il faudrait expliciter les malentendus et les déconstruire :  

Malentendu que l’école entretient concernant les parents

On entend bien trop souvent que « les parents ne s’occupent pas de leurs enfants » ou que « les parents d’élèves sont des consommateurs » pourtant les études montrent que, quelle que soit l’appartenance ethnique, culturelle ou sociale, la plupart des familles ont pour leurs enfants des aspirations scolaires élevées. Il nous faudrait donc nous défaire de cette image démissionnaire ou consumériste que nous faisons porter aux familles.  

Malentendu que nous pouvons entretenir dans nos demandes implicites et paradoxales

D’un côté appel à participation et de l’autre interdiction d’entrer dans l’école.  
Les parents « adéquats » sont ceux qui se conforment sans revendiquer, se montrent tout en restant à leur place. Oui, mais finalement, qu’attendons-nous des parents : une alliance, une aide, un recours, un partenariat, une coopération, une concertation, une collaboration…

Pour les parents, tout n’est pas forcément clair : l’école est un monde étrange avec son cortège de questions parfois sans réponse. Ces questions sont donc celles sur lesquelles nous pourrions agir pour construire cette coéducation qui fait partie de nos missions. Nous envisagerons « le comment » dans les capsules suivantes.  

À retenir  

Ces évolutions bousculent :  

  • d’une part, le métier et la formation au métier puisque le référentiel professionnel augmente en tâches au-delà de celles d’enseignement stricto sensu en demandant aux professionnels de forger de nouveaux gestes de métier ;
  • d’autre part, les parents sollicités par l’institution. Ces derniers ne sont pas forcément préparés aux modalités de collaboration proposées. Ils se voient poussés à s’impliquer au plus près dans le suivi de la scolarité et assignés à une co-responsabilité de réussite scolaire de leur(s) enfant(s) dans une dynamique de coéducation.
     

Collaborer avec les familles ?  

Pour poser le décor de cette relation, nous pourrions essayer de définir ce que peut être une relation collaborative avec les parents en posant les trois postulats suivants :  

  1. La relation enseignant-parents est un rapport social ; ce rapport social peut être un rapport de pouvoir ou de coopération. À nous (parents et enseignants) de choisir la posture qui nous paraît être celle de la co-construction.
     
  2. La relation enseignant-parents est faite de représentations et de réalisations. Il nous appartient (parents et enseignant·es) de faire la part des choses entre ce que nous projetons sur l’Autre et de ce qui se passe réellement.
     
  3. La rencontre enseignant-parents peut déjouer ou renforcer des représentations négatives. Il nous appartient (parents et enseignant·es) d’identifier la dynamique dans laquelle on place la co-construction.  
     

On voit apparaître dans ces trois postulats la dimension dynamique de cette relation et surtout la responsabilité que nous avons en tant qu’acteurs de cette relation (parents et enseignants) dans la manière de la développer. Cette relation ne va pas toujours de soi. Elle est à construire, parfois très difficilement pour l’enseignant car il n’est pas aisé de trouver les mots justes pour parler d’un enfant et de ses difficultés scolaires. Difficultés qui sont toujours difficiles à vivre pour les parents.  

On pourrait donc, pour nous donner un cadre, retenir ces sept principes énoncés par le sociologue Jean-Paul, professeur à l'Université de Genève en sociologie de l'éducation :  

  1. Informer clairement
    Nécessite pour l’enseignant d’informer les parents du niveau scolaire de leur enfant et de s’assurer de leur compréhension de ce qui est mis en place pour y remédier. On doit pouvoir travailler à une explicitation claire, sans drame. 
    Comment ? En montrant un exemple de ce qui est attendu.
     
  2. Collaborer
    Nécessité d’une recherche conjointe de solutions. Solutions qui ne sont pas à imposer aux familles mais à faire émerger au cours d’échanges. Il s’agit ici de pouvoir changer de point de vue et accueillir ce qui se passe lors des échanges en laissant la place par exemple à d’autres solutions que celles imaginées en amont. 
    Comment ? Par exemple, un enfant qui montre peu d’attention est suspecté par l’enseignant d’un trouble. Il souhaite proposer un bilan orthophonique ou psychologique. Lors de l’entretien, il ressort que l’enfant a la télé dans sa chambre : il est finalement décidé qu’on enlèvera la télé pour favoriser un bon sommeil pour commencer.
     
  3. Croire en la relation
    Nécessité de croire en la capacité éducative des parents (en dehors bien sûr de maltraitance). 
    Comment ? En trouvant des solutions originales en lien avec la manière de vivre de la famille.
     
  4. Ne pas s’enfermer dans le face-à-face
    Par exemple, si l’entretien est toujours difficile, trouver d’autres manières de communiquer, associer les parents autrement pour trouver d’autres portes d’entrées dans la relation et travailler sur la confiance. 
    Comment ? En proposant aux parents d’accompagner la classe, en proposant des temps informels dédiés au partage.
     
  5. Ne pas craindre le conflit
    Un moment conflictuel mais constructif peut mener à une coopération. 
    Comment ? En prenant du recul, en se rendant compte par exemple du bienfait d’un ton direct mais empli de tact.
     
  6. Reconnaître le point de vue des parents sur l’enfant
    Il n’y a pas nécessité à faire consensus sur la vision que l’on a de part et d’autre de l’enfant. Une vision élève et une vision enfant peuvent ne pas être en accord pourtant la collaboration peut être possible.
    Comment ? En acceptant que l’enfant puisse être différent à la maison et à l’école mais en s’assurant qu’il y a compréhension des deux lois.
     
  7. Construire la confiance
    Pas facile pour certains parents de revenir à l’école. Cela ravive des expériences parfois douloureuses et l’attitude de certains parents peut être extérieure à ce qui se passe ici et maintenant.
    Comment ? En accueillant le vécu des parents, en leur permettant d’exprimer leurs craintes.  
     

Nous sommes bien conscient que nous venons d’énoncer ici des principes qui pourraient paraître idéalistes, voire irréalisables. Il nous paraît néanmoins structurant d’avoir en point de mire ces principes pour trouver dans la relation notre style relationnel dont il ne pourrait y avoir de modèle tant la composante individuelle est forte.
 

Mener un entretien avec les familles  

On bâtit donc dans nos rencontres un environnement où le dialogue peut se construire. Cette construction a besoin des deux parties ; nous sommes donc chacun responsable de ce qui se met en œuvre dans l’entretien, mais la relation de face-à-face met en jeu beaucoup de représentations réciproques, de questions implicites qu’il peut être bon d’avoir à l’esprit :

  • Qu’est-ce que l’enseignant attend des parents ? 
  • Qu’est-ce que les parents attendent de l’enseignant ? 
  • Qu’est-ce que l’enseignant attend de l’entretien ? 
  • Qu’est-ce que les parents attendent de l’entretien ? 
  • Comment transmettre les informations de manière claire aux parents ?
  • Comment transmettre les informations en laissant une place au point de vue du parent ?
  • De quelles informations le parent a-t-il besoin pour investir son rôle de partenaire ?  
  • Comment faire pour que l’entretien soit un moment de recherche commune de solutions originales ?  
  • Comment l’entretien peut-il renforcer les capacités éducatives des parents qui connaissent des difficultés de vie ?  


Il ne s’agit pas de répondre à ces questions mais de savoir qu’elles vont venir colorer l’entretien. Pour nous épargner les conséquences de cet implicite, nous pouvons pour commencer expliciter avec les parents le cadre qu’on se donne pour cette coéducation, ce dialogue.  

Expliciter clairement les postures que cette co-construction nécessite : des postures plus qu’une méthode donc. Des postures de part et d’autre à expliciter en début d’échange, en début d’année. Ce pourrait être en quelque sorte notre charte de bonne relation. Et comme toute charte, il peut être intéressant de la penser accessible et compréhensible.  

Voici quelques éléments de réflexion : informer et trouver des solutions constituent les objectifs de cette coéducation. Pour remplir ces objectifs la parole, l’échange, les idées, les avis doivent pouvoir être échangés en toute sécurité.  

Pour cela nous expliciterons que, pour dialoguer, nous allons essayer de :

  • accepter les différents codes : ceux de l’école, ceux de la famille, sans chercher à avoir l’assentiment des parents, ni eux le nôtre ;
  • imaginer, si on est parent soi-même, ce qu’on pourrait recevoir et comment ;
  • chercher à connaître et comprendre les parents et leurs points de vue, expliciter qu’ils ont ce droit mais que chacun fait SON boulot ;
  • faire preuve d’empathie, de bienveillance, de non-jugement inconditionnel, de tisser la confiance, pour être dans une dynamique de main tendue et de coude-à-coude (plutôt que de face-à-face ou de dos à dos) ;
  • rechercher ce qui peut être partagé, aussi petit soit-il ;
  • solliciter des ressources extérieures, si nécessaire, pour contribuer à la résolution de problèmes, de mettre le parent en position d’acteur·trice ;
  • informer le parent de manière claire et complète, de susciter/valider des propositions des parents, de ne pas fermer l’entretien avec des solutions définies à l’avance ;
  • ne pas prédire, de laisser du temps ;
  • croire dans le changement, de gérer ses propres inquiétudes ;
  • réfléchir à une sémantique commune, un langage commun ;
  • reconnaître la pluralité des manières de faire, d’être parent (aussi ténues soient-elles : prendre en compte les parents réels) ;
  • diversifier les moyens de faire lien : statut de l’écrit/parole… Sens de l’absence/présence ;
  • établir que la différence ne doit pas générer de stigmatisation. 

Une fois la charte posée comme garde-fou de l’entretien, le cœur du sujet (à savoir ce qui pose problème : parler des difficultés) pourra être partagé avec plus de sérénité.  

Vous trouverez dans les fiches outils une proposition de déroulé type d’entretien qui pourrait baliser ces temps d’échanges.

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