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On peut dire que je fais partie de cette catégorie, de plus en plus réduite, d’enseignants pour qui ce métier est une véritable vocation. Me destinant à la base dans une carrière de professeur de mathématiques, j’ai finalement bifurqué vers le CRPE pour une seule raison : travailler dans le spécialisé.
Ayant une sœur avec des troubles autistiques, sa scolarité n’a pas toujours été facile. Pourtant bonne élève, avec un comportement exemplaire, elle n’a pas été comprise de certains professeurs, harcelée par certains camarades. La période du collège a été particulièrement douloureuse, mais le handicap (et encore plus l’autisme) n’était pas forcément pris en compte à cette époque. Et c’est cela qui m’a motivé, essayer de changer les mentalités, sensibiliser les personnes autour de moi, et surtout apporter à ces élèves aux besoins particuliers un environnement dans lequel ils se sentiraient en sécurité, valorisés et dans une dynamique d’apprentissage.
Je n’ai eu aucun mal à obtenir des postes qui m’intéressaient, personne ne les demandait ! Je me souviens encore de ce coup de fil des syndicats « Vous avez eu votre 1ᵉʳ vœu, vous êtes nommée en IMP. Vous êtes sûre que ça va aller ? Si vous avez besoin, nous sommes là… ». Mais moi, j’étais contente ! Travailler au sein d’un Institut Médico-Éducatif m’intéressait, car j’avais la sensation d’être au cœur même du handicap.
À l’époque, on ne parlait pas d’inclusion, mais d’intégration. C’était à l’élève de s’adapter à son environnement, et non l’inverse... Étant sur le groupe des ados, je me suis vite rendu compte que, pour certains (certes une petite minorité), cela pourrait être un véritable bénéfice d’évoluer au sein d’un milieu ordinaire et de sortir du milieu protégé, car c’est aussi comme cela qu’ils peuvent développer certaines compétences sociales. Petit à petit, le terme « inclusion » a commencé à apparaître. Des projets de scolarisation partagée ont vu le jour, et je ne pouvais qu’en voir les bénéfices !
Un jour, l’opportunité de faire l’ouverture d’un dispositif ULIS dans un collège s’est présentée à moi, et je me suis dit : « Pourquoi pas ? » C’était le moment de quitter le milieu protégé, et de m’investir pleinement dans l’inclusion scolaire d’élèves en situation de handicap. Je me suis donc lancée.
Ma première étape, c’était ma propre inclusion dans l’établissement. Je l’avais vécu avec l’équipe des éducateurs à l’IMP, je savais que pour réussir, je devais d’abord travailler main dans la main avec les professeurs. L’une de mes plus belles « victoires », restera ce collègue qui n’était pas à l’aise à l’idée d’avoir en cours des élèves avec des TSA. Au bout de quelques années, il les accueillait avec joie dans sa classe !
Je me suis vite rendu compte de la charge énorme de travail que demandait ce poste : travailler avec les différents partenaires, au sein mais aussi à l’extérieur du collège, coordonner des inclusions d’élèves auprès d’une vingtaine de professeurs. Gérer les stages, les ESS, les PPI, et j’en passe. La liste serait encore longue ! Pourtant, je gardais l’envie et la motivation.
Je me souviens d’un élève TSA, arrivé dans mon collège après une année dans un autre établissement, sur un dispositif ULIS où il n’avait que très peu d’inclusion, l’autisme faisant peur à la plupart des collègues. Arrivé chez nous, de nombreuses inclusions avaient été mises en place. Il s’était tout de suite épanoui, les profs s’étaient vite attachés à cet élève souriant et plein de bonne volonté. Comme d’autres élèves, j’ai gardé contact après son départ du collège. Quelle belle victoire d’apprendre, au bout de quatre ans, qu’il avait eu son Bac Pro, et même son permis ! Sans dispositif ULIS, cet élève se serait noyé dans le général, ou n’aurait pas développé dans une scolarisation en milieu protégé toutes les compétences sociales qu’il a pu acquérir durant ses années scolaires. Cette expérience, mais aussi beaucoup d’autres, n’ont fait que me convaincre de l’importance de l’inclusion scolaire et de ne jamais baisser les bras…
Et pourtant, j’ai quitté mon poste. Car ce que je n’avais pas prévu, c’était l’augmentation de mes effectifs. La circulaire de 2015 a beau spécifier « Le nombre d'élèves qui bénéficient du dispositif au titre d'une ULIS collège ou lycée ne dépasse pas dix », mais… « Cependant, dans certains cas, l'inspecteur d'académie-directeur académique des services de l'éducation nationale (IA-Dasen) […] peut également augmenter l'effectif d'une Ulis donnée si la mise en œuvre des PPS des élèves le permet. »
Et voilà, on y est ! Dans mon département, nous étions à un nombre fixé à 12 qui n’a pas bougé pendant huit ans. Nous arrivions à exercer dans de bonnes conditions même si la charge de travail était conséquente. Seulement lors de ma 9ᵉ année, nous nous sommes tous retrouvés à devoir accueillir un élève supplémentaire en pleine année scolaire. Imaginez déjà une seule AESH pour accompagner 12 élèves dans certains cours. Le casse-tête pour faire son emploi du temps, l’équilibrer afin qu’elle puisse être présente dans l’ensemble des matières, au moins sur la moitié de cours pour chaque élève. On pourrait penser qu’un élève en plus, ce n’est pas grand-chose… Mais si ! Un élève en plus, représente une classe en plus, donc encore plus de professeurs avec qui faire la coordination. Un élève en plus, c’est enlever du temps d’accompagnement à d’autres élèves, qui n’en ont déjà pas assez, pour pouvoir mettre ce temps auprès du nouvel élève. Ce sont aussi des éducateurs, une famille, des suivis de stage, des PPI, des ESS, une orientation de plus sur laquelle travailler. Et tout cela, sans aucun moyen supplémentaire attribué.
J’ai malheureusement vite compris que le sabordage n’allait pas s’arrêter là et que les dispositifs ULIS collège allaient passer à 14 dès l’année suivante… Comment envisager des inclusions, quand on sait que la réussite de l’élève, son bien-être, passe aussi par le temps d’accompagnement de l’AESH ? Comment envisager une inclusion réussie si l’AESH ne pouvait être présente qu’une fois sur trois, sur quatre ? Comment apporter de l’aide aux collègues se retrouvant de plus en plus seuls face à nos élèves et leurs besoins particuliers ? Comment faire pour que cette charge de travail, mais aussi mentale, n’empiète pas encore davantage sur mon quotidien ?
J’ai donc préféré quitter mon poste, quitter le « navire avant le naufrage ». Ce fut l’une des décisions les plus difficiles de ma vie. Quitter un établissement dans lequel j’avais mis toute mon énergie, rencontré une équipe formidable avec laquelle j’arrivais à travailler et faire de beaux projets, une AESH formidable qui était devenue mon binôme de tous les instants. Car si l’ASH est une vocation pour moi, il ne m’était pas possible de me lever le matin en allant travailler à l’encontre de mes convictions. Pas possible de faire du « quantitatif » alors que j’avais œuvré dans le qualitatif. Aujourd’hui, quand j’entends mes collègues tenant encore la barre, qui sont obligés de sortir leurs élèves de certains cours du général, non pas parce que l’élève n’est pas capable ou que le professeur ne souhaite pas le garder, mais tout simplement faute de temps d’accompagnement de l’AESH… Je ne regrette pas ma décision. Sur le papier, il y a moins d’élèves en attente, plus d’élèves pris en charge, donc les statistiques sont bonnes. Dans la réalité, le navire est en train de couler.
L’inclusion, un beau terme qui pourrait prendre son sens, si on y mettait les moyens. Aujourd’hui, je vois une démarche qui m’inquiète de plus en plus, que j’appelle « l’inclusion à tout prix ». Les IME ont de plus en plus d’UEE (Unités d’Enseignements Externalisées), seulement les élèves restent entre eux, dans certains cas ils ne sortent même pas en récréation ou ne mangent pas en même temps que les autres. On peut voir aussi des ados de 14 ans qui se retrouvent en UEE au sein d’une école primaire… Où est l’inclusion dans ce cas ?
À vouloir inclure à tout prix, à faire des économies, on en oublie le centre de notre métier : l’élève. Sur le papier, on va se gargariser de pouvoir dire que nos élèves sont scolarisés dans l’ordinaire. Mais sur le terrain, ce que je constate, c’est de plus en plus d’équipes en souffrance, qui doivent gérer sans formation des élèves à besoins particuliers de plus en plus nombreux, des enseignants spécialisés qui baissent les bras…
L’inclusion, oui… Mais pas à n’importe quel prix.
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