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Impuissance, colère, peurs : des émotions qui font irruption dans notre métier. Et si les nommer nous permettait de les regarder bien en face et de passer en mode solution ?
Pour aborder ces questions, Hélène Romano nous a apporté son expertise et son regard affûté sur le contexte enseignant dans cet article, dont les propos sont issus de l’entretien réalisé avec elle le 31/10/2023.
Hélène Romano est praticienne et universitaire, avec un double doctorat en psychopathologie et en droit privé, en sciences criminelles, avec une habilitation à diriger des recherches et toutes sortes de titres. Sa pratique est articulée sur un travail de recherche, sur l'impact de la peur, le cadre du stress, des angoisses et des événements traumatiques dans la vie des professionnels, des personnes, des parents et des élèves. Elle a longtemps exercé au sein de l'Éducation nationale et a participé à créer ce que sont aujourd'hui les cellules d'écoute et d'urgence.
Hélène Romano : Prenons pour exemple le sujet de l'accueil des enfants à besoins spécifiques. La loi de 2005 est une avancée formidable pour des élèves, mais qui n'a pas été accompagnée de moyens en termes de formation ou du nombre d’AESH dans les établissements scolaires.
On peut donc avoir une enseignante qui a 30 élèves. Sur ses 30 élèves, elle en a 5 qui ne parlent pas français et ne parlent même pas la même langue. Elle a 2 enfants de la sphère autistique, un qui a une myopathie. Donc à peu près la moitié de sa classe sont des enfants à besoins spécifiques. Il n'y a que deux AESH. Elle n'est pas infirmière, elle n'est pas psy : elle est enseignante. C'est son premier poste, elle n'a pas tenu jusqu'au mois d'octobre, elle est déjà en arrêt et il n'y a pas eu d'accompagnement. Ses collègues ont essayé d'aider, mais pas forcément au niveau attendu. Ceci est une histoire vraie.
Elle a sollicité un inspecteur qui lui a dit : “Écoutez, changez de métier.” C'est extrêmement violent parce qu'elle est prête à faire, elle. Les moyens accordés sont en décalage avec les ressources, avec une formation. Ce qui crée forcément un sentiment d'impuissance terrible, qui peut se transformer en colère ou en dépression et qui participe au mal-être des enseignants.
On dit : "Allez parler de ceci. Si vous n'en parlez pas, vous êtes faible et incapable." Mais il faut avoir été dans les classes où la mixité culturelle engendre de très fortes tensions pour savoir à quel point ce n'est pas facile. C'est extrêmement complexe. On comprend que des enseignants soient prudents et puissent temporiser leurs interventions par rapport à un contexte où ils ne sont pas suivis et manquent de moyens.
Entre les beaux principes et la réalité de tout ce que vous avez à gérer, on vous demande d'intervenir sur la prévention de la radicalisation, sur la laïcité, sur la prévention du harcèlement, sur la souffrance psychique des enfants. Sans formation, sans repérage, sans temps pour ça, c'est juste inhumain.
Il y a quelques années, quand vous étiez enseignant, on ne savait pas où vous habitiez. On n'avait aucune info sur votre vie privée. Maintenant, si vous avez eu le malheur de poster des choses lorsque vous étiez jeune, on va vous retrouver. Les élèves "googlisent" vos photos, vos infos, et ça se diffuse.
Samuel Paty en est un exemple absolument redoutable. Des collègues ont été insultés, menacés, ainsi que leurs proches et leurs enfants, sur Internet et les réseaux sociaux. Il y a un énorme travail à faire au niveau de l'institution pour protéger les professionnels par rapport à ce harcèlement et pour sanctionner les élèves. Lorsqu'un enseignant est filmé en classe pendant qu'il est humilié, des sanctions massives devraient être mises en place, car l'enseignant peut être détruit, anéanti psychiquement.
La cyberprotection qui existe dans les entreprises n'est pas présente en milieu scolaire. Elle devrait l'être. Quand votre identité a été attaquée, quand vous avez été diffamé sur les réseaux pour une quelconque raison, votre institution devrait intervenir, demander la suppression des contenus et porter plainte. Mais cela n'est pas fait.
Il vient un moment où il faut se mettre au travail et se projeter vers quelque chose que l'on peut construire pour retrouver un tant soit peu de pouvoir d’agir.
Il y a une manière de faire remonter au système la réalité de notre quotidien, même s'il y a un bémol majeur et statistique en particulier sur la question de la violence en milieu scolaire. Certains établissements ayant signalé toute incivilité ou acte de violence se retrouvent en tête de certains journaux comme étant les établissements scolaires "les plus agressifs".
À l'Éducation nationale, on a tendance à dire : "On comprend, c’est un événement indésirable grave au sein de l'institution…" Mais souvent, c'est réglé en interne. Parce que si on transmet au-dessus, on va se retrouver dans les stats et être considéré comme un mauvais prof, ou un mauvais établissement.
Osons sortir de ce huis clos. En déposant des mains courantes, par exemple, c'est une autre instance qu’on sollicite : l'instance judiciaire. À la fin de l'année, quand vous avez des centaines de mains courantes, c'est significatif. On ne peut pas vous empêcher de les déposer. Là, c'est factuel, ce sont des agressions subies.
C'est extrêmement important de dire aux enseignants qu'ils ont ce droit-là, de porter plainte. Parfois, les collègues ne savent pas qu'ils ont le droit, parce qu'on leur dit : "L'institution ne veut pas, tu ne peux pas." Ce n'est pas vrai ! Le fait de noter et de faire noter toutes ces agressions permet de ne pas les balayer sous le tapis, de ne pas les banaliser. Un crachat, par exemple, peut sembler supportable selon votre vécu, mais c'est inacceptable.
L'impact psychologique d'une telle agression varie d'une personne à l'autre, car nous n'avons pas tous la même histoire personnelle. Parfois, ça peut vraiment anéantir un collègue :"Je ne banalise pas, je ne dramatise pas non plus. J'ai vu des collègues craquer pour des choses qui, pour d'autres, n'auraient pas semblé si graves." La gravité pénale n'est pas toujours corrélée à l'impact psychologique d'une agression, et c'est pour cela qu'il ne faut pas les banaliser.
Un stress cumulé peut faire en sorte que notre amygdale cérébrale, qui gère nos émotions, soit complètement débordée à cause d'une surproduction d'hormones, ce qui mène au craquage. L'idée, c'est d'éviter que les enseignants, ou d'autres professionnels comme les CPE, les infirmiers, les assistants sociaux, les psychologues, tous ceux qui interviennent en milieu scolaire, soient psychiquement épuisés.
L'épuisement psychique, ou ce qu'on appelle le burn-out au niveau professionnel, est fortement lié à la banalisation des violences et au déni de celles-ci.
On sait qu'il faut intervenir tôt, parfois entre nous dans des établissements qui régulent bien la situation, même s'il y a des tensions, ou entre établissements de différents secteurs et professions. Il faut pouvoir trouver des solutions, ensemble. On n'est pas seuls, mais il est fondamental de ne rien banaliser.
Nathalie Dreyfus, synthèse de l’entretien réalisé avec Hélène Romano réalisé le 31/10/2023
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