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Chez ÊtrePROF, on essaye tant que faire se peut d’outiller les collègues au quotidien pour accompagner leurs élèves. Un quotidien prévisible, mais parfois soudain et dramatique. Nous souhaitons vous demander comment vous allez, pas dans votre préparation de classe, mais avec vos émotions et votre manière de vivre votre métier. Une manière de vous proposer un espace pour mettre en mots ce que vous vivez, ce que vous ressentez, que ce soit colère, peurs ou impuissance.
Pour aborder ces questions, Hélène Romano nous a apporté son expertise et son regard affûté sur le contexte enseignant dans cet article, dont les propos sont issus de l’entretien réalisé avec elle le 31/10/2023.
Hélène Romano est praticienne et universitaire, avec un double doctorat en psychopathologie et en droit privé, en sciences criminelles, avec une habilitation à diriger des recherches et toutes sortes de titres. Sa pratique est articulée sur un travail de recherche, sur l'impact de la peur, le cadre du stress, des angoisses et des événements traumatiques dans la vie des professionnels, des personnes, des parents et des élèves. Elle a longtemps exercé au sein de l'Éducation nationale et a participé à créer ce que sont aujourd'hui les cellules d'écoute et d'urgence.
Hélène Romano : On sait, par les multiples études qui ont été faites par l'OMS, que la pandémie du Covid a été une période d'extrême insécurité et d'augmentation des troubles anxieux de 40 % dans la population générale. La guerre en Ukraine, la crise économique, l'écologie génèrent des anxiétés très particulières qui influent sur le moral des jeunes, des élèves et des adultes. Le sentiment de sécurité est ébranlé. À cela s'ajoutent les assassinats de nos collègues, dans l’exercice de leurs fonctions, qui bouleversent complètement les identités, le sens donné au métier d'exercer en milieu scolaire, auprès des élèves.
On est confrontés à quelque chose d'indicible, d'insupportable, qui va majorer les réactions d'angoisse et de stress multiples. On voit dans le traitement médiatique apparaître des notions comme l'impuissance, la peur, le fait de ne pas avoir imaginé que l'on faisait un métier à haut risque.
Face à cette horreur, l’École (et avec elle, les enseignants et enseignantes) est pointée car oui, dès qu'il y a un problème dans la société, bien souvent, on incombe la responsabilité à l'École. N’oublions pas qu'une société qui va mal a besoin d'un bouc émissaire. On appelle cela une victime expiatoire. Le mauvais objet, le paratonnerre, c'est l'Éducation nationale et l'École au sens large : collège, lycée, primaire, maternelle. C'est la victime expiatoire préférée de cette société, en France en particulier.
C'est toujours la faute des profs. Les écrans, c'est la faute des profs. Les élèves sont radicalisés, c'est la faute des profs. C'est tout juste si le réchauffement climatique, ce n'est pas la faute des profs, parce qu'ils ne sont pas assez éduqués. C'est extrêmement éprouvant et ça représente une charge mentale très forte sur le corps enseignant qui ne se sent plus soutenu, valorisé, protégé, respecté.
Poser le constat du contexte dans lequel nous évoluons et nous travaillons nous permet d’objectiver nos ressentis. Mais pour retrouver un tant soit peu de pouvoir d’agir, il nous faudrait passer en mode solution. Trois axes s'offrent à nous.
Il faut faire des déclarations d'accident de travail si on est exposés à de la violence, ne pas banaliser toutes ces choses-là. Ça fait obligatoirement bouger l'institution. Il faut oser faire des vagues, sortir la tête du rang pour quantifier réellement ces violences ordinaires, car il n’y a pas de petites violences. Il y a violence tout court. Nous faire respecter, ça passe aussi par toutes ces petites choses administratives qui vont permettre de se sentir sécurisés institutionnellement.
Ne pas rester seul, c'est fondamental. En parler, oser dire que c'est compliqué paraît déjà la première des choses pour sortir du déni sociétal sur la charge mentale que représente le fait d'enseigner. Se faire plaisir, faire des choses qui nous font du bien : c'est extrêmement important de s'autoriser ça.
Le fait d’oser, de dire, d'offrir un espace dans lequel on peut dire qu'on ne va pas bien, qu'on a peur, qu'on est en colère, qu'on est maltraité, savoir qu'on représente quelque chose qui pousse à la maltraitance, cela permet de ne pas rester seuls. Ça permet de sortir de la sensation qu'on a en se disant : "Ce n'est que moi qui ai peur, c'est que moi qui ne me sens pas bien". Déposer des mains courantes, par exemple, ça permet de dire : "Voilà, c'est un fait. Ce n'est pas seulement moi qui interprète, c'est une réalité." C'est très important de poser cette réalité pour se dire que non, ce n'est pas une fatalité, ce n'est pas normal. Ça permet de lutter et de retrouver du pouvoir d’agir.
Les enseignants et enseignantes, dans une dimension symbolique et inconsciente, sont un substitut parental. Ils sont les garants de la République, malgré tout, envers et contre tout. Mais que faire quand cette armure se fissure ? On ne va pas travailler, en tant que prof, avec un gilet pare-balles et un casque !
Il faudrait apprendre à gérer nos peurs ? C'est facile à dire et pas si simple à faire, parce que la peur, sa caractéristique, c'est l'effroi, la sidération. Arriver à décrypter, à mettre des mots, c'est très important :"Oui, j'ai peur et j’ose le dire." Comment ça se manifeste ? Dans ma tête, mes maux de ventre, les troubles psychosomatiques, les cauchemars la nuit ? Comment moi, au quotidien, je le vis ? Comment les autres, mon entourage le perçoit ?
La peur fait partie de la vie. Ce n'est pas forcément négatif, ça nous permet d'être en alerte. Mais quand ça prend toute la place, il y a des moments où il faut s'autoriser à se dire "je ne pense pas de côté, je change ma pratique, je change d'établissement, je n'accepte plus d'exercer dans ces conditions-là". Après avoir essayé, trouver des solutions, savoir dire stop, c'est se respecter. Et ça, c'est vraiment important.
Des profs qui se font cracher dessus, qui sont insultés par les élèves, qui se font abîmer leur voiture… Banal ! Cette banalisation des petites incivilités, parfois, ça blesse vraiment psychologiquement. Elles peuvent conduire, comme une boule d'avalanche, à des choses beaucoup plus douloureuses à vivre.
Il n'y a pas qu'une seule voie dans notre manière d'être enseignants. En salle des profs, on peut tout à fait imaginer des discordances de points de vue. Quand il y a la mort, quand il y a un événement traumatique, le groupe est complètement déstabilisé. C'est important de comprendre et d’avoir des défenses dans ces situations inévitables de clivage. Les clivages sont extrêmement forts, c’est comme ça ! C'est extrêmement important de le comprendre pour les dépasser. Mais pour les dépasser, il faut avoir des espaces pour en parler, sans que ça devienne un pugilat.
Les mécanismes de défense, là aussi, sont logiques, individuels, parce que psychiquement, quand on est face à quelque chose qui nous déstabilise, qui nous met en danger, qui vient nous déstructurer et qui vient bouleverser nos valeurs, nos croyances, l'organisme et le psychisme se défendent par des réactions différentes. Peut-être par le déni, l'identification projective, la banalisation, le mensonge. Savoir que ça existe, c'est important pour éviter de tomber dans les jugements de valeur et accentuer les tensions.
Dire "j'ai peur" et bien comprendre ce que cela signifie pour nous, quel effet cela a sur nous, car chacun a des peurs différentes ? Se demander : "Ai-je peur d'être agressé ? Ai-je peur des parents d'élèves ?" Quelle forme cela prend-il pour moi ?" Se faire un petit schéma mental, une sorte de topographie de sa propre peur permet de reprendre le contrôle. Dire "même pas peur" ou croire que si on a peur, c'est signe de faiblesse, comme je l'ai entendu de la part d'un inspecteur d'académie, est une attitude très violente. Faire sa propre topographie de la peur, en comprendre les manifestations, l'intensité, en faisant un schéma pour soi-même est crucial. Certains profs le font aussi dans les classes, notamment après des agressions graves, pour éviter l'effet cumulatif.
La gestion de la peur dans un contexte aussi dramatique que les attentats en milieu scolaire est un fil ténu. Il ne faut ni dramatiser outre mesure ni dénier la situation. C'est un exercice compliqué et nous faisons de notre mieux en mettant des mots sur nos expériences, en nous autorisant à en parler. Dire "je souffre" ne fait pas de nous de mauvais profs.
Après les événements d'Arras, tout comme après l'assassinat de Samuel Paty, on a eu des collègues très démoralisés, vraiment stressés, mais pas seulement pour eux-mêmes, également en tant qu'enseignants et pour leurs propres enfants qui étaient extrêmement stressés et inquiets. Ils se disaient : "Mon papa qui est prof, ma maman qui est prof, peut mourir, peut être tuée à cause de son travail." C'est épouvantable.
Comment répondre à ces peurs ? Si jamais vos enfants posent des questions, même vos élèves, gardez à l'esprit qu'un enfant ne pose jamais une question s'il n'y a pas derrière quelque chose qu'il essaie de comprendre. Si votre enfant vous demande : "Papa, tu vas mourir au travail ? Maman, les profs, ils vont être tués ?", il ne faut pas simplement nier en disant : "Non, ce n'est pas vrai, c'est exceptionnel", mais plutôt essayer de comprendre ce que l'enfant ressent. Lui dire : "Ta question est importante, tu es important. Qu'est-ce que tu penses ? Qu'est-ce qui te fait penser ça ?" Reconnaître qu'un enseignant a été tué, mais aussi parler de ce qui a été mis en place pour la sécurité.
Ne pas banaliser, c'est crucial. Parce que parfois, dans un réflexe de défense ou de protection, on peut dire à nos enfants : "Ne t'inquiète pas, tout va bien", alors qu'il est plus juste de dire : "Je comprends que tu sois inquiet, mais on va tout faire pour que ça aille bien. On met en place des mesures de sécurité. On n'est pas seuls." Il ne faut pas nier, ces petites choses sont importantes. Accueillir la réalité, mettre des mots dessus et puis négocier avec, autant que faire se peut.
Nathalie Dreyfus, synthèse de l’entretien réalisé avec Hélène Romano réalisé le 31/10/2023
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