Elle arrive souvent à la fin du premier semestre. Elle attend. Tapie dans l’ombre. Puis, elle surgit au détour d’une semaine lambda. Frappant à la carotide l’enseignant, sans doute mal préparé et dans le déni. De 17 à 23 heures, à la nuitée. Ou à la fraîche, un samedi matin. 

Elle ne laisse jamais indifférent….

La réunion parents/profs. Et avec elle, de quoi écrire 12 chroniques, 15 dépêches de faits divers et trois pamphlets. Pourquoi ? Car c’est le seul, disons-le, le seul moment où vous serez seul, seul face à une meute de parents, dont le seul but est de comprendre. 

Comprendre POURQUOI. 

Pourquoi Enzo est tout seul dans un îlot éloigné de tous ses camarades ? 
Ou en visio depuis la salle de perm ?
Pourquoi il a 2,21 de moyenne générale ?
Pourquoi il se retrouve dans cette classe, LUI ?
Pourquoi vous ?
Pourquoi ?
Qui sont-ils, ces parents, qui feraient sortir de leur gonds un moine boudhiste ?
Qui sont-ils, ces parents dont vous ne soupçonniez pas l’existence ?

Revue de quelques archétypes, façon Z.

Car il vous comprend. Oui. Il savait déjà tout, avant même que vous n’ouvriez pas la bouche. Il vous comprend et vous amène des paroles apaisantes telles que : 

“Bien entendu qu’il n’est pas sage le petit. Tout le temps on lui dit à la maison, avec ma femme. On l’a puni croyez pas, il a plus le portable désormais et on lui donne à peine à manger.” 

ou

“Ah mais c’est le même chez nous hein, il nous fait la misère, que même le chien il a demandé à partir.” 

ou

“Ah ben punissez-le vous, nous on y arrive plus avec mon mari. On a fait les papiers de l’adoption, si vous voulez bien parapher là et là, car vous quand même, il vous écoute.”

Des parents qui vous suivront quoique vous décidiez, jusqu’à l’exil de l’enfant en Amazonie profonde, tant ils sont fort dépourvus. Quand l’adolescence fut venue.

Car il sait. Oui. Il sait mieux que vous pourquoi ça ne marche pas en classe. Car il a lu plein de livres sur la psychologie de l’enfant et qu’il faut faire preuve de bienveillance. Pas comme vous. Car son enfant n’est pas celui que vous décrivez. Qu’il ne le reconnaît pas.

Car Timéo parle 12 langues, pratique la natation synchronisée et sait déjà à 12 ans qu’il veut être commissaire priseur. C’est donc une question de méthode. Sans doute de formation. 

“Vous faites le PAF ?” 

Et nous passerons sous silence la progression exponentielle de HPI surdoués surcotés, qui inondent nos classes et qui nous rassurent sur l’avenir de notre Terre. Nous sommes entre de bonnes mains. Si d’abord on les lave pour retirer la colle qui les soudent au pupitre en mode étoile de mer…

Car il est. Oui. Il est d’un temps que les moins de 60 ans ne peuvent pas connaître. Le temps béni où Respect / Rigueur / Réussite et Règle en bois sur les doigts était écrit en lettres d’or sur chaque pupitre. Pas comme maintenant.

Il s’agira donc prestement d’éviter les différents jets de projectiles lancés à bout portant sur le jeune “loubard”, lancé par le paternel ou d’intercepter une énucléation maternelle causée par un certain nombre d’absences injustifiées. 

La méthode forte, donc. Gênante à souhait pour lui - et aussi pour vous, car il n’est pas facile de maintenir un calme religieux quand on assiste à une déculottée au sens propre du terme. Enfin “propre”... Sans avoir vraiment fait de vérifications.

Car il n’est pas. Au courant. De tout. Voire vraiment de pas grand chose, si on en fait un résumé. De la classe de son enfant tout d’abord. Et oui, il a grandi si vite qu’il est déjà en première. 

Mais aussi des notes et du comportement. 

“Comment ça des SMS ? Je n’ai jamais reçu quoique ce soit provenant du lycée. Ah merde, c’était dans les spams... Le bulletin ? Ah, on le reçoit plus par La Poste ?”

 Il repartira heureux de l’entretien, surtout après que vous lui ayez appris à entrer le numéro du lycée dans son répertoire entre “Bebert le Boucher” et “Jacqueline-belle-sœur”.

Car il veut. Oui il veut. Tout bien faire. Il arrive avec un notebook et demande à le brancher et retranscrit toute la conversation sur un traitement de texte avec des alinéas. Puis dégaine avec attention les 1524 questions préparées avec soin qu’il entrepose depuis son dernier message sur Pronote. Celui de la semaine dernière. 

Il hoche la tête quand vous parlez, il hoche la tête aussi quand vous ne parlez pas. 

Il se propose pour venir à toutes les sorties scolaires. Il se propose de venir au conseil de classe, au conseil de discipline, au conseil de vie lycéenne, au conseil d'établissement. 

Il se propose même de mener des gâteaux aux prochaines JPO. Même s' il ne sait pas cuisiner. 

“Avec ou sans pépites de chocolat ?” 

C’est la question 1520.

Des moments de vie… Certains sont plus longs que d’autres. 

Et il y en aurait plein d’autres. Vous en voulez encore ?

Monsieur Z., prof de lycée pro quelque part en France, dont l'humour sévit sur Facebook et sur Instagram. 

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