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Cela fait presque vingt ans que j'enseigne et, des enfants avec des troubles, j'en ai vu passer. Dyslexiques, dysorthographiques, hyperactifs... Jusqu'à présent, ces élèves n'étaient pas officiellement diagnostiqués (j'enseigne en REP et on se rend compte que les familles ont peu accès aux réseaux psycho-médicaux...).
Je devais donc me débrouiller pour tout : adapter certaines démarches pédagogiques (mais pas trop puisque rien n'était déclaré), alerter la communauté éducative, dialoguer avec les parents pour essayer de comprendre et faire comprendre les difficultés, se renseigner à droite à gauche sur les troubles en question...
Cette année, pour la première fois, j'ai reçu dans l'une de mes classes un élève diagnostiqué et suivi par la MDPH. Il est dyspraxique. Il a la même AVS depuis deux ans. Je l'ai accueilli, comme mes collègues, avec une réelle volonté de bien faire, j'ai lu les bilans qui m'ont été fournis sur lui et j'ai beaucoup parlé avec l'AESH pour savoir comment je devais m'adapter.
J'ai donc mis en place tout un arsenal de différenciation pour lui : évaluations adaptées, police spécifique pour les documents, morcellement du travail pour favoriser la concentration, valorisation de l'oral, intégration dans des travaux de groupe avec des tâches spécifiques et réalisables... Je n'ai pas lésiné !
Bien vite, en réalité, je me suis aperçue que l'adaptation ne relevait pas seulement de l'aspect pédagogique. Différencier, c'est nécessaire, mais l'aspect humain est primordial. C'est une chose de créer une dictée à choix multiples quand le reste de la classe fait une dictée classique, c'en est une autre que cet élève aux besoins spécifiques puisse être intégré dans la classe, s'y sentir bien mais aussi que les autres interagissent avec lui et le comprennent au mieux.
Je vais donc vous raconter quelques situations vécues cette année qui m'ont fait bouger sur mes lignes et qui montrent, selon moi, l'importance de l'Humain, souvent trop implicite, quand on prend ces élèves en charge au collège. Appelons mon élève dyspraxique Alexis.
Il sait qu'il a une difficulté puisqu'il est suivi depuis plusieurs années, il est très à l'aise à l'oral, très participatif mais c'est bien sûr l'écrit qui lui pose un grand problème. Ainsi, en janvier, en accord avec la direction de l'établissement et son référent MDPH, il est décidé qu'Alexis pourra avoir une tablette en classe pour prendre les cours. Soit ! Je trouve cela positif, l'élève aussi.
Première chose, la tablette fait régulièrement (pour une raison qui m'échappe encore) « Bip-Bip » en classe. Moi, dans mon rôle de Cerbère de l'usage du téléphone, je me mets régulièrement à chercher qui a allumé le sien... Cela me déstabilise bêtement et il me faudra un temps d'adaptation pour intégrer ce son au fonctionnement du cours. Oui, ça se joue à ça !
Deuxième point, bien plus important. Au terme de quinze jours d'usage de la tablette, les autres élèves de la classe viennent se plaindre à moi du fait qu'eux ne peuvent avoir une tablette alors qu'ils le voudraient, certains disent qu'Alexis fait des jeux pendant les cours... Bref, la tablette devient à la fois objet de convoitise et de tension et je vois que mon élève dyspraxique commence à ne plus s'en servir systématiquement, il la laisse parfois au fond de son sac. Je décide alors de « crever l'abcès » (avec l'accord d'Alexis) et de prendre un temps d'échange avec tous sur le trouble d'Alexis, ce qu'est la dyspraxie, l'importance pour lui d'utiliser cette tablette et la notion d'équité entre les élèves.
Ce fut un moment très riche : si nous avons parlé dyspraxie, nous avons aussi évoqué les points forts et les points faibles de chacun. Certains élèves ont pu dire à tous ce qui les mettait en grande difficulté et chose qui m'a particulièrement étonnée, Alexis a posé beaucoup de questions sur sa dyspraxie. Ceci m'a permis de me rendre compte, qu'en fait, il ne savait pas précisément quelles étaient les conséquences de ce dont il souffrait. Après cette discussion, il n'y a plus eu aucun problème sur l'usage en classe de cette tablette, je me suis habituée au « Bip-Bip » et Alexis vient régulièrement, en fin d'heure, me poser des questions sur son trouble.
Autre paramètre avec Alexis : son corps. Il a besoin de bouger, il est maladroit, fait régulièrement tomber sa trousse, son cahier, il met un temps infini à ranger son sac en fin d'heure, a du mal à ouvrir ou fermer le zip de son manteau en hiver. Tout cela, je pourrais me dire que ce n'est pas de mon ressort, pas mon problème en fait.
Mais je me suis très vite rendu compte qu'assimiler ces données dans mon fonctionnement et ma relation avec lui permettait de mettre en place un principe « gagnant-gagnant ». Quand il n'en peut plus et qu'il a besoin de bouger, il peut se lever, aller en fond de salle ou encore prendre une balle de relaxation, ainsi il parvient à se reconcentrer.
Pour gérer son matériel, nous avons mis en place un protocole de ce qui se trouve sur sa table et s'il fait tomber quelque chose, je ramasse et le cours continue. Régulièrement, au lieu de m'énerver parce qu'il est très lent pour ranger ses affaires et que j'ai toute une classe qui attend dans le couloir, je lui donne un coup de main et nous en profitons pour voir comment mettre les objets dans son sac de manière efficace. J'ai zippé et dézippé son manteau plusieurs fois cet hiver, ce qui lui permettait soit de s'installer plus vite ou soit de ne pas être en retard à son prochain cours.
Est-ce que c'est mon métier ? Oui évidemment ! J'y gagne aussi : je le vois en confiance, je le vois évoluer, je le vois s'épanouir. Ce n'est pas aussi ça, le métier de prof ?
Peggy, professeure de français au collège
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